Si la notion de paysage renvoie à celle de nature, c’est que la nature est à la genèse du paysage. Les premières représentations de paysages, dans l’Antiquité Grecque, admiraient, dans le paysage agricole, le rapport de l’homme à la nature. Avec la multiplication des explications scientifiques du fonctionnement de la nature à l’Epoque Moderne, on a délaissé le paysage. On le retrouve au XIXème siècle, à l’époque romantique, où la nature renvoie l’homme à un rapport sensible à son environnement. Aujourd’hui, l’information sur l’impact de l’action de l’homme sur la nature et la préoccupation de réparations écologiques accentuent le rapport étroit entre paysage et nature. Elles rappellent le caractère construit des paysages.
La valeur identitaire associée au paysage souligne l’importance des repères qui permettent à chaque individu de se construire une histoire des territoires qu’il vit ou traverse. Le paysage conduit ainsi à l’appropriation collective d’un environnement et témoigne de la préoccupation de son devenir.
La naturalité des paysages
Lorsqu’ils parlent des composantes spatiales du paysage, les élus considèrent en premier lieu les éléments de nature. Les habitants enquêtés confortent l’importance de ces éléments dans leur lecture des paysages du département. Les autres acteurs, rencontrés dans leur cadre professionnel, mettent en avant les éléments liés à leur domaine d’expertise.
« Tout dépend de ce qu’on met sous le mot paysage. Seul, on pense tout de suite végétation, tout ce qui la façonne dont est constitué l’espace où on vit ; est-ce que c’est un espace rectiligne, arboré ou sans arbre ? » Elu communautaire du Pays de Brocéliande
Les élus retiennent l’arbre, comme élément majeur de composition du paysage de l’Ille-et-Vilaine, et choisissent, presque tous, de détailler le programme Breizh Bocage, aujourd’hui engagé par l’ensemble des communautés de communes. Les habitants, eux, soulignent la présence de l’eau.
Les environnementalistes rencontrés apprécient la qualité environnementale des paysages. Ils expliquent qu’associés aux éléments de nature, les paysages favorisent la construction d’un abri pour la biodiversité (faune et flore). La diversité de leur composition garantie la qualité des sols et de l’eau. Aussi, ces acteurs intègrent désormais la dimension paysagère dans leur travail et la communication qu’ils en font.
« Cette perception du paysage pour moi elle est très importante, ne pas fermer le paysage, avoir des perspectives, diversifier les paysages, c'est diversifier les habitats et diversifier les habitats c'est diversifier les habitants. » Acteur environnementaliste
La composition paysagère des éléments de nature assure un certain équilibre écologique, en favorisant la diversité des espèces. Aussi, la qualité paysagère est rapprochée de la qualité environnementale appréciée à l’échelle de l’Ille-et-Vilaine.
Le paysage de nature renvoie à une certaine « harmonie », un « équilibre ». La plupart des Brétilliens enquêtés considèrent un état de bien-être par leur seule présence. Certains parlent d’un « ressourcement » éprouvé par le sentiment d’un rapprochement avec la nature. Ce paysage permet aussi de se situer dans le temps qu’il reflète ; parce qu’il change, selon les moments de la journée, selon les saisons. Il est apprécié dans les grands espaces, où la pression humaine est moins forte et la taille humaine plus perceptible. Là, les bruits de la nature s’apparentent au silence.
C’est un environnement agréable, pas agressif par opposition à l’univers urbain. Aussi, cette nature, domestiquée, se fait proche et lisible par tous. La plupart des élus rencontrés s’émerveillent de sa proximité, d’une nouvelle qualité écologique qu’illustre pour eux le retour d’une petite faune que l’on peut apercevoir presque de chez soi.
« C’est partout, vous êtes à 2 km, il suffit de prendre un vélo ou être à pied, vous êtes dans la nature, on a cette chance là. C’est exceptionnel. Cette nature est à nos pieds, il suffit de la regarder, de la contempler. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande
La nature dans le paysage est recherchée. Elle rassure sur la proximité de notre rapport à la terre.
Des exploitants agricoles et environnementalistes rencontrés regrettent cependant une vision « trop citadine » d’un paysage, ou d’une nature, bucolique et rangée. Ils estiment qu’elle peut perturber la gestion écosystémique de l’environnement naturel.
Le terme de « sauvage » est d’ailleurs fréquemment associé aux paysages du département, où l’organisation de l’espace est volontairement peu ordonnée et les prélèvements par l’homme sont raréfiés.
Les élus expliquent que là : « on laisse faire la nature ». Ils ajoutent néanmoins que même ce caractère sauvage nécessite l’intervention de l’homme et aujourd’hui des zones spécifiques. Ils soulignent que les collectivités ont en grande partie la charge.
Les espaces verts dans la ville sont peu évoqués. Ils semblent supposer moins d’enjeux que ceux qui s’ouvrent à sa périphérie.
La naturalité des paysages est aussi marquée par l’oubli des éléments urbains dans la composition des paysages de l’Ille-et-Vilaine. Le paysage urbain est d’ailleurs rarement évoqué de façon spontanée ; essentiellement par des acteurs de l’aménagement, puis par les élus qui s’inquiètent de qualité environnementale dans l’espace urbain. Observant que les bâtiments contemporains s’inscrivent difficilement dans le paysage ou que l’urbanisation perturbe la lecture de certains paysages, la plupart n’envisagent que des paysages urbains plantés.
« Quand vous êtes en mer, vous repérez non pas par des amers ce qui se passe mais vous repérez tout simplement les maisons blanches qui attirent le regard quoi. » Acteur des collectivités
L’artificialité des paysages de nature semble gommée, ce qui tend à les isoler de l’environnement urbain construit.
Les paysages, une construction humaine
Les paysages sont des constructions humaines qui se sont appuyées sur l’environnement local. Leur genèse émane de l’admiration de l’exploitation par l’homme des ressources naturelles présentes. Aussi, plusieurs acteurs rencontrés considèrent que l’environnement, tel qu’il est construit, répond à des besoins alimentaires, puis économiques, avant toute préoccupation paysagère.
« On a commencé à avoir des revenus quand on l’a construit, quand on a endigué les marais, quand on a refait du bocage et qu’on a maîtrisé l’eau, qu’on a fait des moulins, des forges, des verreries, le rouissage du lin. Tout cela, c’est parce que le paysage a été construit. (… )Les terres mouillées qui étaient sur les plateaux, on a fait des fossés, pour enlever l’eau excédentaire. Une fois le fossé, il fallait faire un creux et on a fait la haie. (…) On avait cette organisation spatiale. On ne perdait rien, on ramassait la feuille, tout. » Acteur environnementaliste
Plusieurs personnes interrogées, originaires de leur commune ou qui se sont intéressés à son histoire, racontent que l’implantation des villages s’est faite à partir des voies d’eau, en fonction du relief, ou que les hameaux sont dispersés et nombreux dans les secteurs où on a exploité les ressources minières ou forestières de façon industrielle (les hommes sont devenus les ouvriers des carrières, des menuiseries, des scieries, et des forges ; les fermes sont restées petites et familiales pour compléter le revenu de la famille).
« Tous ces manoirs étaient des domaines agricoles (…) ils étaient situés toujours à mi-pente, entre les terres labourables et les prairies (…) Pour avoir un revenu, il fallait des vaches, et pour avoir des vaches il fallait des près. Une fois que vous aviez des près, vous aviez du foin pour les nourrir l’hiver, et vous aviez du fumier pour engraisser les terres à blé au-dessus. Une fois que vous aviez des terres à blé, il fallait une source en eau pour moudre, il vous fallait un moulin et puis après du bois, etc. Tout cela était un domaine extrêmement construit. Le manoir était là, le moulin un peu plus bas. » Acteur environnementaliste
Elles expliquent que les anciens bâtiments témoignent encore de construction à partir des matériaux (granit gris, schiste rouge, gré noir, terre) extraits du sol sur lequel ils se trouvent ; que les moulins à eau le long des rivières et les moulins à vent sur la côte rappellent l’utilisation de l’énergie générée par les éléments naturels.
« Ce qui m’a marqué aussi en arrivant, c’est l’habitat traditionnel. Quand on circule sur quelques kilomètres, on voit des maisons en schiste rouge, à Pont-Réan, on fait quelques kilomètres, on trouve des bâtiments en grès armoricain du grès gris et quand on est, souvent plus dans la campagne, on trouve des maisons en torchis, une base en roche, mais une maison en terre. Et je trouve que ça c’est un élément marquant du paysage, à une échelle bien sûr de plus en plus réduite, mais on voit une variabilité quand on se déplace. (…) une mosaïque de milieux. » Elu communautaire du Pays des Vallons de Vilaine
Le paysage agro-naturel revêt également l’empreinte de sa construction, humaine ; même s’il est moins évoqué. Les prairies sont plus nombreuses là où le sol est plus pauvre, parce que l’élevage de bovins y est plus adapté que les cultures. La taille et la forme des parcelles sont plus variées dans ces espaces, où le relief est aussi plus marqué. Aussi, l’organisation et les signes de la propriété (les limites parcellaires, les arbres, l’espace privé, l’espace public) dessinent également le paysage du département.
« Une prairie, ce n’est pas de l’herbe, c’est quelque chose qui s’entretient. (…) C’est des années de travail pour avoir une herbe de qualité, une variété, une pousse, il faut l’engraisser, l’entretenir, la retourner de temps en temps. » Elu communautaire du Pays de Saint-Malo
Des environnementalistes soulignent l’importance de la main de l’homme dans le paysage en montrant que ces espaces de nature qui ne sont pas entretenus se ferment et perdent leurs qualités écologiques. D’autres, y compris des exploitants agricoles, observent plutôt que, dans ces espaces, la main de l’homme fragilise la qualité écologique du fait du développement de grandes parcelles agricoles. Elle tend, par là même, à appauvrir le paysage, en en réduisant la composition.
Plusieurs personnes accordent une valeur particulière à leur jardin qu’elles considèrent comme le paysage qu’elles se sont construit. Là encore, c’est l’histoire singulière de leur rapport à cet espace, comme un morceau choisi de nature, qu’elles racontent.
« Pour moi, le paysage, c’est le jardin. (...) ce que je construis au quotidien » Elu communautaire du Pays de Fougères
Ici, la permanence de l’empreinte de la construction humaine est déterminante du sens que les habitants donnent au paysage du département. Les Brétilliens rencontrés apprécient les éléments construits qui racontent l’histoire de leur territoire dans un rapport étroit aux éléments de nature qui le composent.
Des paysages identitaires
L’évocation de paysages choisis renvoie à l’histoire du lieu, du rapport d’hommes à cet endroit. Les personnes interviewées la racontent parce que de par leur fonction ou leur activité professionnelle ils s’y sont intéressés. Plus souvent, parce qu’ils sont originaires du territoire, l’histoire du lieu leur a été compté par un aïeul. Là, le souvenir de la transmission apparaît aussi important que celui de l’histoire pour raconter ce paysage.
Le caractère identitaire des paysages relève autant de l’histoire des lieux que de sa propre histoire.
En dehors des plaines, la plupart des personnes originaires de l’Ille-et-Vilaine racontent un environnement humide et boueux, ou sec et rocheux, selon les secteurs. La rudesse de ces environnements a donné lieu à des solidarités locales fortes qui perdurent dans les représentations que s’en font ceux qui regardent aujourd’hui encore ces paysages.
« On a une école privée qui est ici et a été construite en 1939. Les plus anciens me racontent : il n’y avait pas de route goudronnée hein, que c’est à coup de carriole avec des chevaux que les agriculteurs qui étaient nombreux à l’époque, parce qu’il y avait beaucoup de petites fermes, qui allaient chercher la pierre pour pouvoir monter l’école. La partie d’origine est pratiquement tout en pierre. Ils avaient la volonté de montrer qu’ils allaient faire quelque chose par eux-mêmes. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande
Les éléments patrimoniaux bâtis du paysage constituent également des repères de l’histoire singulière des lieux. Les châteaux, les manoirs, les fermes participent du paysage, parce qu’ils parlent de l’identité du territoire. Aussi, les élus rencontrés mettent en avant des actions des collectivités de réhabilitation du patrimoine bâti et requalification en équipement public (musée, mairie, école, salle polyvalente, etc.). Le patrimoine vernaculaire est autant cité que les châteaux des Marches de Bretagne. Bien sûr, les élus qui citent ces derniers leur confèrent une plus grande dimension et un plus large rayonnement.
L’horizon du clocher et la silhouette de l’agglomération, ou « du village », s’appuyant sur le relief, caractérisent les paysages des communes de l’Ille-et-Vilaine. Le cœur des grandes villes du département, dessiné sur ce relief, particularise chacune d’entre elles.
« ça peut faire un peu caricatural, mais ils voient le clocher de l’église, c’est quand même le point le plus élevé, ce n’est pas pour la symbolique religieuse, mais ils savent qu’ils sont dans cette agglomération et ça peut inciter à développer, je vous aurai dit, un sentiment d’appartenance. » Pays des Vallons de Vilaine
Les chemins creux, la taille des arbres en émonde constituent aussi des marqueurs identitaires des territoires. Parmi les éléments patrimoniaux de nature, plusieurs élus insistent aussi sur des essences d’arbre « locales » (principalement le chêne et le châtaignier).
« Le paysage doit être le reflet de l’identité locale » Elu communautaire du Pays de Fougères
Fig. : La dimension identitaire et patrimoniale de ce paysage n’est pas discutée. Les remparts et le château de Fougères aux marches de la Bretagne (note) racontent l’histoire de la ville et de la région. Ces éléments patrimoniaux majestueux soutiennent la ville ancienne, préservée et valorisée. Ces repères du paysage sont des vecteurs d’appropriation du territoire.
« Les nouveaux habitants lorsqu’on les accueille, première chose qu’ils nous disent tous, je crois que je n’en ai pas vu un qui ne l’ai pas dit : « nous, on était muté à côté de Rennes, on cherchait un endroit, on est arrivé ici, on a été scotché ! Et on a dit c’est là qu’on veut…» Et quand je dis aux gens mais pourquoi, ils disent : « parce qu’il y a un univers, une identité, une âme ». Je pense que les gens sont de quelque part, même quand ils vivent 4 ou 5 ans dans une ville, ils sont de cette ville. Donc, c’est leur identité, et ils sont heureux quand ils trouvent que c’est beau. » Pays de Rennes
Les collectivités se servent de ces représentations paysagères pour communiquer la singularité de leur territoire. Plusieurs élus expliquent, par exemple, que le logo de la collectivité qu’ils représentent schématise le paysage qui caractérise leur territoire.
« C’est ACSOR avec un petit logo. Ça représentait aussi les couleurs de la bruyère qui est un élément du paysage, les couleurs du schiste rouge et je pense qu’il y a huit points pour huit communes de tailles différentes, avec pas mal de paysages et de végétation. » Elu communautaire du Pays des Vallons de Vilaine
Les personnes enquêtées sont attachées à l’histoire personnelle ou collective que véhicule les paysages. Ce repère identitaire constitue une valeur de distinction des territoires.
Lorsque les Brétilliens sont invités à parler d’un paysage de l’Ille-et-Vilaine qu’ils retiendraient s’ils devaient s’adresser à quelqu’un qui ne connaitrait pas le département, la plupart citent un lieu particulier. Ils sont aussi nombreux à retenir un paysage ordinaire, ou commun, qu’un paysage extraordinaire, ou emblématique. Avant le territoire administratif, les répondants décrivent un vaste ensemble ou une unité géographique. Parmi les 15 % qui citent un territoire administratif sans autre précision, 81 % retiennent le nom d’une commune, 4 % celui d’un Pays, 14 % (soit 3 % des répondants) le département de l’Ille-et-Vilaine dans sa globalité. Ces derniers d’ailleurs parlent tous de la diversité des paysages du département.
Les acteurs interviewés également retiennent une diversité des paysages de l’Ille-et-Vilaine. S’ils ne parlent pas d’un paysage unique, ils considèrent un patrimoine commun à l’échelle du département. Ces acteurs parlent de l’importance de sa côte, de la prégnance des landes, et de la présence des forêts. Ils confondent finalement ce paysage avec celui de la Bretagne. D’ailleurs, plusieurs des personnes originaires d’un autre département de la région observent que le département concentre des particularités des paysages de la Bretagne. Certains acteurs économiques le soulignent.
« C’est Bretagnissime… parce que c’est un concentré de Bretagne mais avec un petit plus, un petit peu d’impertinence » Acteur économique « On arrive au quart Sud-ouest qui est celui que j’adore ; c’est là où je vis en fait. Parce que là, on retrouve des caractéristiques qu’on ne retrouve pas ailleurs, c’est celles qu’on va retrouver aussi au nord est dans la continuité du Morbihan.(…) des zones plus… qui correspondent un peu au schiste rouge violet où on trouve pas mal de landes, d’affleurement rocheux de paysages un peu vallonnés et assez chaud et sec. » Acteur environnementaliste
Les paysages de l’Ille-et-Vilaine sont peu rapprochés du territoire départemental. Ils caractérisent des territoires infra-départementales, ou plus largement, la région Bretagne.