Contrairement aux trois autres motifs, économique, religieux ou militaire, le motif balnéaire est spécifique à la façade littorale. Il aurait pu être intégré au motif économique mais il recouvre une dimension culturelle et paysagère spécifique. Ce phénomène naît à la fin XVIIIe siècle avec la mode des bains de mer mais ne se développe vraiment qu’à partir de la fin du XIXe avec l’organisation du modèle de la cité balnéaire. Sa mutation socio-économique connaît une première phase avec la crise de 1929 et l’instauration des congés payés. L’impact paysager de cette première évolution est limité, contrairement à l’explosion du phénomène de la résidence secondaire à partir des années 1970, dont les incidences paysagères, urbaines, socio-démographiques, singularisent ce motif de création de paysages.
Un motif aux origines anglaises
L’usage vivifiant des bains de mer, sur les rhumatismes notamment, se développe à partir de l’établissement des bains du docteur Russel à Brighton en 1730. Importé en France vers la fin du XVIIIe siècle, ce phénomène va être amplifié par une spécificité socioculturelle anglaise, le « Tour ». Le Tour consiste, pour les jeunes gentlemen anglais, à se forger une culture et se construire une posture en voyageant à travers l’Europe. Le passage des Alpes conduit en période hivernale à faire une halte sur la côte méditerranéenne française. Les stations de bains de mer qui ont développé une offre hôtelière sont mises à profit par ces jeunes Anglais. Les idées issues du Romantisme aidant, ils vont trouver dans le rivage, l’occasion d’une introspection, d’un rapport direct à la Nature. D’une côte considérée initialement comme peu hospitalière et à laquelle on tournait le dos en dehors des ports de pêche, le littoral évolue vers un territoire de projets. Les premiers Anglais arrivent ainsi à Dinard en 1836 à l’occasion de l’installation du nouvel embarcadère de l’anse du Bec. Vers 1840, le consul anglais initie l’ancrage de familles entières qui importent leurs pratiques sociales (golf, yachting, tennis…), leurs codes paysagers et architecturaux (l’impression de nature sauvage, un certain rapport au paysage et à l’environnement, le more glass than Wall traduit en bow-windows dans les villas du XIXe siècle…). D’un lieu de villégiature pour quelques familles, les côtes vont devenir des supports de projets d’investissement foncier. Le produit, la station balnéaire, repose sur un site et une situation qui se conjuguent pour créer le premier acte d’un modèle initialement limité dans l’espace aux abords du rivage. Pour exister, la station balnéaire a besoin d’un cadre spécifique, une baie dont la forme courbe referme les perspectives et se met en scène. Les flancs de cette baie s’hérissent ainsi de villas rivalisant de tourelles, colombages, vitraux, murs de soutènement, jardins pittoresques et pins parasols. Au centre, tel un point focal, on trouve les attendus du théâtre social avec le Grand Hôtel, le Casino, la promenade le long de la mer. Ce modèle d’organisation se retrouve décliné et adapté à Dinard, Saint-Lunaire, Saint-Malo.
Le sillon, cordon dunaire qui sépare le port de la baie, est le support de la station balnéaire qui se développe ensuite sur un plan en damier.
Dinard, un exemple de création spéculative et culturelle
Le projet de station balnéaire de Dinard est conçu en 1856 par l’architecte Eugène Lacroix pour des financiers, des « lanceurs de plages » qui vont s’engager dans la promotion foncière et immobilière et chercher à attirer de riches investisseurs. Dinard apparaît dans la littérature touristique en 1859. Pour se développer, la station doit être desservie par une voie de chemin de fer, un tramway. Prolonger une ligne existante et générer des déplacements est une démarche lucrative permettant de rentabiliser l’investissement. Les compagnies de chemin de fer vont ainsi promouvoir et créer elles-mêmes certaines de ces cités balnéaires.
Le comte libanais, Rochaïd Dahdah investit à Dinard à partir de 1873. Il est à l’origine de la réorganisation de la voirie visible dans le plan de 1877, de la première gare, de la création de villas sur les falaises donnant sur la plage du Casino.
Albert Lacroix et la dimension culturelle de Dinard
A la démarche spéculative, s’ajoute la volonté de l’éditeur Albert Lacroix d’attirer des artistes, l’intelligentsia dont la compagnie est prisée des aristocrates et bourgeois. Pour accueillir cette population, il construit « les villas de la mer », lotissement qui surplombe la plage de Saint-Enogat, des hôtels, des commerces, des cabines de plage.
D’une fonction thérapeutique vers une pratique sociale de masse
Les premiers établissements de bains apparaissent en Bretagne vers 1830. Le premier à Dinard est construit en 1859, de façon rudimentaire. Initialement dédié aux bains thérapeutiques, ces établissements vont évoluer vers une pratique plus récréative. Ainsi, ceux construits sur la plage vont souvent être associés à un casino. Les plages étant classées par les guides, celle du casino devient celle de la bourgeoisie et de l’aristocratie, les autres, celles des familles et des catégories plus modestes. La pratique récréative des bains de mer va de pair avec le développement d’un urbanisme de villégiature. Si l’âge d’or des stations balnéaires « aristocratiques » prend fin avec la crise de 1929, la promotion par le Front populaire des loisirs et du sport va permettre de relancer les stations en y attirant une population plus familiale. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que le tourisme de masse prend son essor.
La vraie rupture paysagère naît dans les années 1960 avec la démocratisation de la résidence secondaire. Le produit phare n’est plus la villa mais le pavillon. La ville pavillonnaire qui se développe n’est plus ordonnée par un plan global et préalable. Elle résulte d’un urbanisme au coup par coup, d’une absence de considération patrimoniale portée sur le paysage en général, la côte en particulier.
La station balnéaire vit le temps de la saison estivale et de quelques temps d’animation. Ces vingt dernières années, les stations ont cependant évolué vers des villes vécues tout au long de l’année par des résidents de plus en plus nombreux, transformant leurs résidences secondaires en résidences principales.
Cette commune littorale, toujours marquée par un très fort taux de résidences secondaires, sa population n’a pas cessé d’augmenter depuis les années 1975.
Le caractère escarpé du linéaire côtier intéressé par le phénomène balnéaire a permis de limiter sa dégradation. Sur des profils dunaires, le golf de Saint-Briac a permis de préserver cet espace de l’urbanisation, de conserver une lecture du paysage côtier et de mettre en valeur le patrimoine naturel, notamment la Pointe de la Garde Guérin.