Le réseau du bocage apporte aux paysages d’Ille-et-Vilaine de nombreux caractères sensibles, qui contribuent fortement aux ambiances et à l’identité même du territoire. L’expérience sensible du paysage y trouve une dimension très dynamique, très animée, et un contact direct avec les éléments de nature que sont les végétaux et les animaux.
Une idée bucolique et plaisante
Le bocage est souvent associé à l’idée d’un paysage plaisant, bucolique, authentique, arboré. Ceci peut provenir des caractères analysés ci-après : les nombreux chemins permettent un accès et un usage de promenade, la compartimentation offre des lieux isolés d’une certaine tranquillité, et l’ambiance bénéficie de la présence des arbres et de celle des animaux (le mot bucolique trouve son origine dans le mot grec désignant les pasteurs de bœufs, tout en renvoyant à la poésie). L’image positive du bocage est aussi à mettre en lien avec son identification en tant que patrimoine : les destructions du remembrement ont fait émerger par réaction un attachement aux structures bocagères qui, tout en s’appuyant sur l’analyse fonctionnelle des effets négatifs, comporte aussi un sentiment identitaire des terres de l’ouest.
Très facilement accessible depuis la ville, le réseau des chemins bocagers offre aux habitants des promenades où ils peuvent jouir de l’ambiance offerte par le cadrage des haies et par les pâturages. La faible profondeur de champ du paysage, limitée à la largeur d’une seule parcelle, est compensée par la succession des plans visuels, avec la haie du premier plan et le plan lumineux de la prairie.
De petites unités de perception
« Les menus champs, clos de lourds talus herbeux que des chênes de formes tourmentées ombragent, offrent l'aspect d'un damier aux mille cases, bariolé de mille teintes. » Anatole le Braz, Les Guides Bleus, Hachette, 1959
Le bocage divise l’espace en petites unités. Il en résulte que les territoires bocagers sont principalement perçus par fragments, souvent limités à une seule parcelle, et que la présence des haies limite souvent le champ visuel au chemin lui-même. Ainsi, les secteurs de bocages n’apparaissent pas souvent sous la forme de grands paysages (notamment lorsqu’ils ne présentent que peu de reliefs), et leur appréhension passe beaucoup par le déplacement, qui permet de faire l’expérience des unités d’espace les unes après les autres.
La relation « de perception » avec le bocage se traduit donc à la fois par une forte dynamique de déplacement, et une relation de proximité du visiteur avec les composantes, notamment les végétaux des haies. Les saisons apportent une animation à ce paysage : en hiver, la végétation permet des vues plus larges qu’en été, et la couleur verte des prairies est renforcée par les teintes plus sourdes des autres éléments, tandis qu’en été, c’est le vert des arbres qui tranche sur les prairies plus sèches. Les couleurs de l’automne, les floraisons du printemps, ajoutent à cette animation permanente. Enfin, les bêtes contribuent elles aussi à « animer » le paysage déjà dynamique, qu’il s’agisse des animaux de pâture ou des animaux sauvages abrités par les haies.
Vues d’ensemble
Même vastes, les secteurs de bocage ne sont que rarement perçus comme de grands territoires, mais cela peut se produire lorsque certaines conditions de perception sont réunies : un relief offrant un point de vue élevé, une position accessible, et un premier plan dégagé. Dans ces circonstances, le bocage offre des caractères plastiques caractéristiques : une très importante présence des arbres, donnant le sentiment d’un pays boisé, et un paysage fortement rythmé par l’alternance des plans visuels des haies, plus sombres, et des parcelles, plus claires. Le réseau des haies a également pour effet d’intégrer visuellement le bâti dispersé, qui n’apparaît qu’assez peu.
Le rebord du plateau offre au visiteur un point de vue élevé et un premier plan dégagé : le paysage s’ouvre et l’œil est attiré par le Mont-Saint-Michel. Entre le Mont et l’observateur, le bocage étend ses alternances d’ombre et de lumière, formant le cadre paysager du monument.
C’est par ces points de vue plus larges que pourraient se deviner les modulations de la maille bocagère, inégalement répartie sur le territoire. Cependant ces visions apparaissent surtout comme des épisodes singuliers de dégagement au sein des perceptions par petites unités.
Effets et motifs des haies et des prairies
Circuler dans les secteurs bocagers constitue une expérience paysagère très animée. La végétation des haies compose une succession de scènes qui se modifie à chaque progression : fermetures, ouvertures, fenêtres, plans coulissants… l’espace se recompose sans cesse selon la position de l’observateur et celle des haies. Il faut cependant remarquer que, si la présence de la végétation est appréciable, ce sont les effets d’ouverture qui occasionnent les perceptions paysagères les plus riches.
Sur la photo de droite, un effet de « perspective » : les arbres sont organisés de part et d’autre d’un dégagement visuel ouvert sur l’horizon. Cette disposition a beaucoup été utilisée dans les grands parcs « anglo-paysagers », et permet de monumentaliser la présence de l’horizon et du ciel autant que celle des arbres, dont les silhouettes se détachent.
A cela s’ajoutent les végétaux eux-mêmes : les arbres du bocage n’ont pas tous la même forme. Les chênes taillés, les « ragosses », jouent un rôle très particulier. La taille d’émonde forme des « figures », chaque pied apparaît dans son individualité, et l’aspect de « personnage » est renforcé lorsqu’un houppier compose comme une tête à l’arbre sujet. Le bocage apparaît alors comme un paysage habité d’individus végétaux. La forme des ragosses est aussi parfois décriée, certains y voient un enlaidissement de l’arbre.
« Je travaille beaucoup sur les paysages mais il y a une vraie difficulté à photographier au nord de Rennes avec le problème de l’émondage. » Richard Volante, photographe Citation extraite du « Portrait identitaire d’Ille-et-Vilaine », Conseil général d'Ille-et-Vilaine, 2009.
La haie de ragosses (dont les houppiers sont laissés libres) est assez transparente pour que se distingue un plan visuel derrière elle. Les arbres apparaissent comme des « sujets » distincts, presque des personnages… La scène est unique, les conditions qui la composent ne se reproduisent probablement pas ailleurs, et participe de l’animation incessante du bocage.
La prairie et le verger sont aussi des motifs du bocage. Il faut rappeler combien la présence de l’herbe est aussi importante que celle des haies : le paysage est fait de cette alternance d’ombre et de lumières. La présence des animaux est elle aussi indissociable de l’animation du bocage et de son identité, il s’agit d’un paysage d’élevage qui trouve là une réelle lisibilité. Sur un plan plastique, l’herbe apporte aux paysages sa couleur vive et sa lumière. En hiver notamment, sa présence apporte une note colorée et vivante.
Une structure rurale… dans le cadre de vie urbain
Les villes ont grandi et les motifs du bocage se sont inscrits dans les espaces publics et dans les usages de leurs habitants. Le chemin, l’arbre, la haie, la prairie, sont en effet autant de motifs facilement associés au cadre de vie, et offrent aux espaces urbains des « continuités » et une proximité avec leur cadre de campagne.
C’est un des aspects qui, avec la production d’énergie, la gestion des eaux, la biodiversité, justifient un avenir pour le bocage et sa gestion. Voir article enjeux Mais on peut aussi affirmer que les paysages de bocage sont partie prenante de l’identité départementale, dont ils qualifient l’essentiel des surfaces.