Dans le contexte économique très difficile de l’après-guerre, le CELIB (Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons) s’engage, dès les années 1950 dans un projet de reconstruction, de développement économique et de désenclavement du territoire breton. Le levier économique, mobilisé autour de Rennes notamment, s’appuie sur la politique nationale de reconstruction et de décentralisation.
_ L’afflux de main d’œuvre désertant l’espace rural pour rejoindre les grands pôles d’emplois, rennais notamment, accroît dans un premier temps la pénurie de logements. Une production massive va alors être mise en place. Le logement, entre 1950 et 1980, est la cause première de la mutation des paysages des villes et plus encore des bourgs ruraux. Dans le cadre de projets globaux, le développement des grandes agglomérations ou de quelques communes, mobilise les principes d’aménagement des mouvements modernistes ou culturalistes. Pour les communes rurales gagnées progressivement par la résidentialisation de leur bourg, il en est autrement. A partir des années 1960, certaines communes, mieux desservies depuis les grands pôles d’emplois ou bénéficiant d’une industrie locale, rompent avec l’exode rural et connaissent une expansion démographique. Une première rupture typologique s'opère ainsi à l’occasion de la construction des logements nécessaires à l’accueil de cette nouvelle population. La seconde rupture, plus déstructurante et affectant un nombre accru de communes, s’est opérée à partir des années 1970. La résidentialisation des bourgs ruraux n’est pas spécifique à l’Ille-et-Vilaine. L’amélioration des conditions de vie, le rejet du mode de vie urbain pour certains, le retour à la campagne permis par la généralisation de la voiture sont des phénomènes partagés. La mise en œuvre du Plan routier breton à partir des années 1970 va toutefois accroître ses effets et impacter, de manière inégale, loin des pôles d’emplois, les communes alors rurales.
Lotissement dense des années 1960, pavillonnaire lâche des années 1970, développement linéaire, expansion de la tâche urbaine : tous les grands facteurs de mutation des paysages des bourgs, initialement ruraux, sont ici présents.
Archives de la ville de Rennes, cote 255FI253
La reconstruction: première révolution urbaine
Consécutive aux nombreuses destructions, parfois quasi-totale comme à Bruz, la première révolution urbaine a été celle de la reconstruction. Qu’il s’agisse de Pleurtuit, Saint-Malo ou Bruz, l’Ille-et-Vilaine dispose d’une architecture qui témoigne de cette phase importante. A la différence de travaux de reconstruction de Royan, du Havre, de Brest par exemple, ceux de Saint-Malo naissent du projet de reconstruction de la Citadelle - et d’une partie de Saint-Servan - et prolongent la cité au tracé médiéval. Ces travaux vont permettre de réorganiser la ville transférant hors les murs des équipements importants. L’espace libéré servira à l’édification d’un tissu moins dense, dédié aux logements et aux commerces. La reconstruction de Saint-Malo, mais aussi de Pleurtuit, est ainsi plus « paysagère » en ce qu’elle s’attache à prolonger un paysage hérité tout en adaptant les profils, les logements aux préoccupations des années 1950.
Source : vue diffusée sur le site des cartes postales anciennes cparama -> http://www.cparama.com/forum/saint-malo-t140.html
Les architectes prennent le parti d’un plan qui prolonge l’organisation initiale encore visible dans les îlots préservés tout en adaptant le tracé de voies, la dimension des îlots à des gabarits de voies praticables par les voitures et des logements répondant aux standards de l’après-guerre. Le granit reconstitué mêlant la poussière de granit au ciment va permettre l’homogénéité globale d’une ville close unitaire.
La destruction du centre bourg conduit à mettre en place un projet de nouveau centre qui réinterprète le motif paysager du centre bourg rural, avec son bâti aligné de maisons de bourg structurant et une place ordonnée non pas par l’église mais par la mairie.
Archives ville de Rennes, cote 255FI18
L’essor urbain rennais (1950-1970) : deux mouvements à l’œuvre, l’un moderniste, l’autre culturaliste
Avant qu’elle ne se généralise à l’ensemble du département, la relance économique a, dans un premier temps, concerné le bassin rennais. L’implantation du site national de l’automobile Citroën, par exemple, va se traduire par une importante création d’emplois. Dans le même temps, on assiste à une mutation industrielle, avec la disparition d’activités notamment liées à l’industrie métallurgique, comme par exemple l’usine de tréfilerie à Bruz qui, après la mobilisation des élus et acteurs locaux, est remplacée par l’ERGM (matériel d’armement). Pour faire face au besoin en logements nécessaires à la population ouvrière délaissant les communes rurales, trois réponses urbaines et paysagères ont été mises en œuvre. Deux mouvements, moderniste d'une part, résidentiel ouvrier d'autre part, vont particulièrement marquer le paysage de Rennes. Le mouvement culturaliste va surtout concerner quelques communes de la périphérie rennaise. De 1950 à 1970, le processus d’industrialisation et d’urbanisation, connu de toutes les grandes villes, a entraîné un exode rural sans précédent des communes en dehors de la première couronne rennaise.
A l’opposé du mouvement culturaliste, ce quartier s’inscrit en rupture du modèle de la rue. La structure discontinue modifie la nature des liens sociaux et le rapport à l’espace. Le modèle de la tour, plus que celui de la barre, va construire le motif paysager de la ville de Rennes.
Archives de la ville de Rennes, photo diffusée sur le site de Renne.tv->http://www.rennestv.fr/catalogue/societe/logement-social-a-rennes-l-hist...
En complément du modèle urbain de la ZUP rompant avec le paysage des rues, le mouvement Castors développe sur le secteur sud-gare notamment, une démarche d’entreprise de construction solidaire dès 1953 et organise la réalisation de 170 maisons jumelées. Ce mouvement associatif trouve un écho particulier auprès des ouvriers cheminots ou ceux des grandes unités industrielles.
Photo diffusée sur le site de Place Publique->http://www.placepublique-rennes.com/2011/05/le-quartier-sud-gare-a-rennes
Selon le culturalisme de Gaston Bardet, le bourg est constitué de « villettes » où les habitations se regroupent autour de placettes. A l’opposé du principe de la table rase, la cité-jardin de l’urbaniste Gaston Bardet pour la ville du Rheu mais aussi Bruz, Chavagne et l’Hermitage, offre un cadre végétal prolongeant le motif bocager. La ZUP et ses formes collectives de logements font naître le besoin d’espaces récréatifs et paysagers. Les tissus pavillonnaires denses donnent lieu à création de squares, les grands ensembles sont prolongés de parcs. Complétant les parcs ornementaux du XIXe siècle (Thabor, Oberthur), ils maillent aujourd'hui l’espace rennais.
Ce schéma met en évidence la corrélation entre l’évolution des parcs et l’étalement de la tâche urbaine.
In : Philippe Clergeau, {Une écologie du paysage urbain}, Apogée, 2007.
1958, Rennes, se dote d’un schéma d’aménagement à l’origine de son paysage spécifique
L’explosion démographique, économique et résidentielle de Rennes, fait naître très tôt le besoin d’une planification.
Archives de la ville de Rennes, cote 255FI244
En 1958, la ville de Rennes approuve un plan de développement dont l’objectif est d’encadrer l’expansion urbaine. Anticipant l’usage massif de la voiture, ce plan engage un processus d’agglomération du tissu rennais à l’intérieur d’une rocade, à l’exception de quelques développements économiques, sur la route de Lorient notamment. Ce principe d’une ville circonscrite sera maintenu et sera à l’origine du paysage de la ville de Rennes avec sa rive verte, sa rocade ouvrant sur l’espace agricole et son prospect animé par les tours des ZUP.
Source : carte diffusée sur le site de Territoire en mouvement -> http://tem.revues.org/660
1970, Rennes, ouverture de l’hypermarché d’Alma
L’ouverture des hypermarchés marque le début du développement d’un commerce de masse adossé à la généralisation de la voiture, périphérique au tissu aggloméré, connecté au grand réseau de circulation. Le succès du modèle entraîne la création de grandes surfaces spécialisées dans l’équipement de la personne, de la maison, du bricolage, implantées en périphérie, aux abords des échangeurs.
Le premier hypermarché rennais, Montréal, à Villejean, ouvre le 27 août 1970. Ce sera un échec commercial.
Photo diffusée sur le blog d'Olivier Dauvers -> http://www.olivierdauvers.fr/2012/09/20/lurbanisme-vu-du-ciel/
Une révolution urbaine touche les bourgs ruraux à partir de la fin des années 1960
La première révolution urbaine, celles années 1950-60, s’est dans un premier temps traduite par un déplacement des populations rurales vers les cinq grandes agglomérations et leurs communes industrialisées. A partir du début des années 1960, le développement de la voiture aidant, tout comme l’organisation d’un réseau de ramassage des ouvriers des grandes usines par cars, des bourgs ruraux périphériques comme Mordelles, Betton, Acigné, connaissent un développement résidentiel important.
A l’image des autres bourgs ruraux de la périphérie rennaise, la commune de Mordelles n’a pas connu de grande vague d’exode rural. La population de 1950 était égale à celle d’avant-guerre. La commune comptait 2117 habitants en 1954, 2268 en 1962, 2921 en 1968. En 1950, le bourg rural présentait un bâti aggloméré autour de l’église implantée au croisement de deux départementales. La route de Lorient, en bas de l’image, franchit le Meu peu après. Les maisons du bourg organisent sur les arrières un ensemble de jardins, de potagers. En 1971, sur la photo de droite, on voit que le tissu urbanisé s’est développé sur le plateau, en direction de Rennes. L’emprise du bourg a été multipliée par 4 en 10 ans dans le cadre d’un projet structuré qui s’organise autour de rues et de nouveaux équipements. Le bourg rural fait place à un binôme centre bourg-tissu pavillonnaire. La maison R+1 sur rez-de-jardin sera le modèle emblématique de cette première vague d’urbanisation des années 1960. Ce mode d’urbanisation en lotissement va principalement concerner les bourgs. Le mitage de l’espace rural se fait sur le modèle pavillonnaire qui se répand à partir des années 1970.
Comme sur cette photo de Vezin-le Coquet, les constructions des années 1960 introduisent une rupture paysagère par rapport au modèle central traditionnel. Le retrait de la façade sur rue et l’introduction de la clôture basse, l’absence d’alignement sur voie créent une rupture dans le paysage de centre bourg et ceci malgré l’utilisation de la pierre en totalité ou en simple soubassement, les prospects R+1 et la densité. Sur l’arrière, on note l’organisation poreuse entre maisons de bourgs, arrières cours et potagers. A ce développement résidentiel s’ajoute l’implantation diffuse de bâtis artisanaux, de garages qui viennent déstructurer le tissu de bords de voies.
L’alignement sur voie du bâti ancien laisse la place à un retrait systématique et la mise en œuvre d’une clôture basse. Cette rupture typologique crée, dans le paysage des bourgs, un clivage centre bourg traditionnel et extension pavillonnaire qui devient devient à partir des années 1975-1980 la nappe pavillonnaire.
L’immeuble collectif, un modèle urbain qui se diffuse ponctuellement
La politique de logements sociaux dans les années 1930 s’appuyait sur le modèle des HBM en pavillonnaire ou en immeuble. Les réalisations concernaient alors principalement les villes. Dans les années 1960, avec la diffusion du développement économique, la transformation de bourgs ruraux en bourgs résidentiels, les logements sociaux font leur apparition dans les communes rurales en concurrençant le seul bâtiment haut des bourgs, l’église. Cette introduction d’immeubles collectifs de trois ou quatre étages dans des formes urbaines principalement composées de longères et de maisons marque profondément le paysage.
L’immeuble collectif à gauche, dissimulé en partie par un immeuble plus récent, s’implante en ligne de crête et rivalise avec le repère de l’église. Le lotissement récent derrière la haie unifie l’ensemble. En 1960, alors que ce lotissement n’était qu’un champ avec ses haies, la rupture typologique devait être plus brutale.
Les années 1970, le début de la grande vague pavillonnaire
Archives Ville de Rennes, cote 255FI257.
Les années 1970 sont celles d’une profonde mutation et d’une désorganisation du tissu des bourgs et des territoires ruraux. Le plein-emploi, la généralisation de la voiture, l’amélioration du réseau routier permis par la mise en place du Plan routier breton, caractérisent cette période. La maison individuelle, au même titre que la voiture ou le réfrigérateur, devient un bien de consommation de masse. Dans les bourgs ayant déjà connu une première vague d’urbanisation, le tissu pavillonnaire, organisé en lotissements, complète celui, plus dense, des années 1960. Pour les bourgs ruraux qui y avaient échappé, le choc paysager est plus brutal.
A Guipry, le bâti du port était aggloméré et ses arrières étaient composés de potagers et de vergers qui prolongeaient les champs alentours. Le développement des années 1970 et 1980 se traduit par une suppression d’une partie du tissu ancien pour y implanter du bâti artisanal tirant profit de la proximité de la gare de l’autre côté de la rive. Les jardins arrières sont densifiés, les potagers deviennent des jardins d’agrément, les vergers sont abattus, le développement linéaire transfère l’entrée de bourg et la transforme en un paysage banalisé. Un lotissement déconnecté s’implante le long de la voie. Une végétation horticole remplace la trame bocagère et les vergers. Les besoins en équipements repoussent les espaces agricoles et les dissocient du tissu initial.
Dans un paysage jusqu’alors ordonné par la Rance, l’émergence du clocher, les toits agglomérés et la pierre des murs du bourg lui-même inséré dans un plissement descendant le coteau, les pignons blancs du lotissement datant des années 1975, la dispersion du bâti, l’individualisation du projet introduisent une grande confusion et une altération profonde de la qualité du site.
L’altération des paysages tient à l’effet de banalisation qu’introduit au sein de l’espace rural, le pavillon dont le modèle identique est présent en bourg ou en ville. Son pignon blanc focalise le regard là où, auparavant, l’exploitation se fondait dans le paysage.