La part agricole des paysages d’Ille-et-Vilaine est soumise depuis les années 1950 à de très importantes mutations toujours à l’œuvre. Ces évolutions, liées principalement à la modernisation, à la diversification des productions, ainsi qu’au très important développement urbain et péri-urbain ont créé de profonds bouleversements dans l’espace et dans les usages.
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Les évolutions sont telles qu’on a peine à admettre que les deux photos sont à la même échelle et dans le même cadrage. La taille des parcelles, la disparition des pommiers, d’une grande partie du bocage, ont profondément modifié le territoire. Le phénomène est régional.
Un héritage des années 1950
Depuis 60 ans, les territoires agricoles ont été bouleversés par de très importantes mutations dont les effets ne sont pas parvenus à produire un paysage reconnu. L’arasement des haies du bocage, des talus, l’arrachage des pommiers, l’agrandissement des parcelles, l’abandon des fonds de vallées, le comblement des mares, le drainage des zones humides, la plantation de haies de conifères, l’édification de nombreux bâtiments d’activité, la réduction très importante du nombre d’exploitations et d’exploitants, la construction de pavillons péri-urbains isolés, l’abandon des fermes anciennes, en sont les traits marquants, considérés parfois comme des « atteintes au paysage ».
Des mesures de réparation liées à l’environnement
Des mesures et des programmes ont pour objectif, depuis déjà les années 1970, d’enrayer l’érosion du bocage et de pallier ses impacts sur l’environnement. On citera particulièrement le programme régional Breizh-bocage (note)], qui aide à la reconstitution d’un réseau efficace de haies, visant l’écoulement des eaux et la biodiversité, ainsi que le développement de la filière bois-énergie.
En note : Les mesures agro-environnementales (note)] appliquées par les exploitants, incluent le maintien et la gestion des haies visant des objectifs comparables. Elles visent aussi la qualité des eaux, créant dans le paysage le motif des bandes enherbées le long des rivières
Sur le plan réglementaire, différentes lois (Espaces boisés classés (EBC), loi Paysage, loi sur l’eau, loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), loi portant engagement national pour l'environnement (ENE) et, dernièrement, loi Accès au logement et urbanisme rénové ALUR, visent à accroître la prise en compte de la trame arborée, qu’il s’agisse des haies du bocage, des bosquets ou des bois. A l’occasion de l’état initial de l’environnement détaillé lors des phases diagnostics des Plans locaux d’urbanisme (PLU) ou des Schémas de cohérence territoriale (SCOT), cette trame arborée doit être recensée. La traduction des objectifs de réduction des risques et nuisances, de préservation des connexions biologiques, conduit à un travail d’identification et de sélection d’une partie de ce recensement. Des outils réglementaires de protection peuvent être mobilisés (EBC, article L 123.1.5.7 du code de l’urbanisme portant sur la protection d’éléments de paysage, classement en zone naturelle) sans que ces dispositions ne garantissent une réelle efficacité de la mesure, en raison de la gestion parfois difficile pour les exploitants. La loi sur l’eau de 1964, puis 1992, complétée par la suite, constitue un autre arsenal de dispositions mises en œuvre à l’occasion des PLU et des SCOT et décliné notamment en schémas d’assainissement non collectif ou en recensement et protection des zones humides et des cours d’eau.
Ces dispositions, qu’elles portent sur le réseau arboré ou sur le réseau hydrographique et que la trame verte et bleue (TVB) synthétise, visent la satisfaction d’objectifs environnementaux.
Les dispositions réglementaires prises pour des motifs environnementaux ayant visé des secteurs de plus en plus vastes ces quinze dernières années, il est devenu moins fréquent de mobiliser une protection de type « N » pour des motifs de beauté du paysage.
Un bocage « bucolique » toujours là, mais fragilisé
Si les pommiers (moins longévifs que les chênes) ont disparu ou presque, le bocage est encore présent malgré les abattages effectués lors des remembrements. Les portraits des unités de paysage révèlent que sa présence constitue un des traits les plus caractéristiques des territoires brétilliens (à l’exception du Clos-Poulet et des Marais de Dol au nord, de la vallée de la Vilaine entre Langon et Redon au sud). Les arbres, les chênes surtout, et le motif caractéristique de la ragosse, sont encore indissociables des ambiances paysagères du département, quelle que soit la densité de la maille bocagère, même dans les secteurs les plus fortement remembrés. Les arbres apportent partout un motif reconnaissable, d’autant que chaque arbre est nettement identifiable du fait de la forme de haies, une expression de nature, une symbolique multiple.
Le bocage constitue un cadre lié à l’élevage, principalement bovin et laitier, et reste très présent dans certains secteurs particulièrement, comme le Coglais. Paysage « bucolique », il est lié à la présence, outre des talus et des arbres, des prairies, des bêtes au pré, des étables… Bien que moins associées à l’idée « bucolique », les grandes stabulations et les usines de transformation du lait sont cependant partie prenante de cette économie et mériteraient de trouver une place mieux assumée, par leur architecture, dans les paysages bocagers.
Alors que l’identité des paysages brétilliens repose pour beaucoup sur ces éléments, ils semblent toutefois en position de fragilité. Les nombreuses études attestent du fait que, malgré les efforts de Breizh Bocage, les mesures agro-environnementales (MAE) ou le développement du bois-énergie, le bocage continue de s’éroder, en particulier en raison des difficultés économiques et techniques rencontrées pour sa gestion. Les arbres en place vieillissent sans être remplacés ou renouvelés, la strate arbustive a souvent disparu, et les tailles d’émonde, bien que toujours présentes, se raréfient. Ce « patrimoine » ne dispose plus de la justification économique qui l’a vu naître et prospérer. Au-delà des talus, des haies et des arbres, la production animale elle-même et celle du lait, est actuellement en difficulté économique. Augmentation des coûts de production, diminution des prix, concurrence avec d’autres pays, poids de la dette pénalisant les investissements, démobilisation des producteurs faute de revenus … cette crise de la production animale pourrait influer sur l’évolution des paysages et mettre en question une identité forte du département. Sur les sols propices, l’élevage cède le pas aux cultures, moins exposées à la crise et proposant de meilleurs revenus aux agriculteurs. Certains secteurs dans le bassin de Rennes ou le bassin de Fougères par exemple, évoluent nettement dans ce sens.
Une économie agricole qui se diversifie
Les modèles agronomiques et économiques ont beaucoup évolué depuis les années 1950. L’agriculture modernisée à cette époque, dite « productiviste », et l’agro-industrie qui l’accompagne, rencontrent aujourd’hui très durement la crise liée à la baisse des prix du marché des produits animaux. Les agriculteurs ont pris également conscience des enjeux de l’environnement, adoptent des mesures visant sa meilleure prise en compte, en particulier la qualité de l’eau.
Parallèlement, une agriculture « bio » se développe en Ille-et-Vilaine comme ailleurs, et représente aujourd’hui entre 2,5 et 5 % de la surface agricole utile (SAU), probablement davantage dans les régions légumières au nord du département. Ce modèle peut conserver certains motifs traditionnels comme la prairie pâturée et les haies du bocage, et faire émerger des motifs encore peu fréquents (comme ceux de l’agro-foresterie, ou les cultures alternées avec les bandes enherbées). L’agriculture biologique, en influant peu à peu sur les éléments du territoire, peut avoir une incidence sur le paysage.
Davantage d’interactions avec la ville
Durant les dernières décennies, les développements urbains ont une influence sur les dynamiques de l’agriculture du département. L’étalement urbain a ainsi consommé d’importantes surfaces agricoles et accru les zones de contact. Des mesures récentes visent à réduire cette consommation d’espace : recherche de densités urbaines plus élevées, moins consommatrices d’espace, limitation des zonages constructibles, capitalisation du foncier urbanisé existant, mise en place d’une Commission départementale de la consommation des espaces agricoles. En progressant significativement, les villes ont étendu les contacts avec l’espace agricole, tout particulièrement dans le secteur de Rennes et de ses environs. Cependant, la forme de développement planifié en « archipel » ménage d’importants espaces agricoles que le SCoT du pays de Rennes protège de l’urbanisation. Ces « champs urbains », à Rennes comme ailleurs, sont soumis à des dynamiques spécifiques. Les populations urbaines souhaitent y reconnaître un paysage, un cadre qui révèle la campagne et les éléments de nature, offrant des promenades, la possibilité d’acheter directement des produits (à la ferme ou au marché), mais aussi des hébergements de loisirs, des visites pédagogiques, des activités ludiques et récréatives. L’équitation, par exemple, interagit sur le réseau des chemins de promenade et la présence des prairies de pacage.
Le maintien d’une agriculture périurbaine attractive nécessite que soient définies des limites pérennes entre la ville et la campagne.
Le phénomène s’applique également en dehors des grandes agglomérations. De nombreuses localités ont vu les lotissements s’étendre dans les cultures et les pâtures, et leurs habitants ne travaillent que rarement dans l’économie agricole. La « péri-urbanisation » touche ainsi des secteurs importants. Il faut y ajouter des contraintes liées à la cohabitation entre la ville et l’activité agricole. Des périmètres non constructibles sont ainsi, par exemple, définis autour des élevages, l’urbanisation génère un périmètre sanitaire qui exclut l’épandage, et il arrive que des habitants tolèrent difficilement certains effets de l’activité agricole voisine, comme le bruit des animaux ou l’odeur du lisier et de l’ensilage…
Le développement péri-urbain a également pour effet une compétition économique entre l’activité agricole et le prix du foncier. La valeur du terrain constructible est si importante, qu’elle peut entraîner des dynamiques d’étalement urbain sur les terres agricoles, d’abandon de terres et d’exploitations situées à proximité des agglomérations.
Un des phénomènes les plus importants est le développement de la promenade, sous de multiples formes (marche à pied, sortie du chien, jogging, balade à vélo, randonnée en groupe…mais aussi simple déplacement). Suscitées par un « désir de paysage », elles portent sur ces campagnes proches et appellent la présence de certains éléments (les arbres, les haies du bocage, les cours d’eau, les animaux), des capacités de perception (des points de vue et des panoramas), la vision d’un territoire cohérent et sans laideurs.
Ce motif paysager devenu très fréquent, développe le maillage piéton-cycle jusqu’aux abords du tissu urbanisé et assure l’interface avec le paysage agro-naturel en s’appuyant sur des éléments de nature (la haie). L’usage de la promenade associé à la haie bocagère et aux agréments qu’elle apporte (coupe-vent, végétaux, fruits, oiseaux…) permet souvent d’assurer la protection de la haie, sans même avoir à mobiliser une disposition réglementaire.
Vers de nouveaux paysages ?
Les évolutions économiques de l’agriculture sont telles qu’elles pourraient, à nouveau, bouleverser le territoire. Alors que les processus de la modernisation et de compensations environnementales, essentiellement fonctionnels, n’ont manifestement pas permis de construise un paysage reconnu, il est possible d’inscrire cet objectif au programme des évolutions en cours, de sorte à identifier, collectivement, un « paysage souhaité ». Parmi les enseignements relatifs aux dynamiques passées et en cours, rappelons, au sujet du paysage, le déficit des représentations, une approche catégorielle de l’agriculture détachée des composantes urbaines du territoire, une trop faible prise en compte des éléments culturels (notamment de l’architecture), et des usages non agricoles. (liens aux articles « faibles représentations » et les pistes pour l’agriculture).