Le paysage, a fortiori le paysage de l’Ille-et-Vilaine, apparaît comme une composition dont les éléments de nature sont soulignés par leurs observateurs. Ainsi, les massifs et les vallons pour certains, la mer et la forêt pour d’autres, sont souvent associés dans leur description.
La description du premier groupe marque la dominante de la composante appréciative de ces paysages (avec une approche picturale, ou une caractérisation, classification des paysages) ; tandis que la composante affective et temporelle distingue le second, également plus souvent associé aux pratiques de loisirs. L’un et l’autre renvoient à des profils socio-économiques et culturels différents.
Ces résultats confirment l’intérêt des paysages, éclairant le rapport des populations à leur environnement.
Après avoir présenté les valeurs et les déterminants socio-affectifs des paysages rapportés par les Brétilliens enquêtés, nous nous intéressons ici aux divers cadres et objets physiques qu’ils retiennent pour parler des paysages de l’Ille-et-Vilaine.
L’échelle de lecture des paysages du département
Interrogés sur les paysages de l’Ille-et-Vilaine, les personnes interviewées parlent de la diversité des paysages de l’Ille-et-Vilaine. 83 % des enquêtés estiment que le paysage de leur département est plutôt très diversifié.
L’ensemble des acteurs rencontrés considèrent que même s’il existe à l’échelle du département des paysages extraordinaires, ils sont peu nombreux et ne suffisent pas à caractériser les paysages du département. Ces paysages sont souvent décrits dans l’équilibre entre nature et culture ; qu’ils se trouvent sur la côte, dans la baie, le long des canaux ou à proximité de la forêt. Ils procurent de telles émotions, qu’ils peuvent amener à supplanter la présence, et l’échelle, de l’homme.
« Quand vous vous baladez sur le Sillon, c’est inhumain, extraordinaire. » Elu communautaire du Pays de Rennes
« Il n’y a pas deux paysages comme ça : le Mont Saint-Michel en Ille-et-Vilaine. » Elu communautaire du Pays de Rennes
Les paysages ordinaires apparaissent tout aussi importants pour décrire les paysages de l’Ille-et-Vilaine. Ils sont des paysages proches (« là où je vis »), que l’on connaît particulièrement. Observés à cette échelle, ils participent du biennêtre individuel et influent sur le lien social. Omniprésents et communs, on y porte moins d’attention qu’aux paysages extraordinaires ; qui ont eux acquis une valeur économique, liée au tourisme.
« Ici, les gens ressemblent à leur paysage » Elu communautaire du Pays de Rennes
« Ils ont à quelques kilomètres de chez eux des endroits qui peuvent être spectaculaire, pas uniquement pour le plaisir de les voir, mais qui comportent un tas de ressources, la faune, la flore, des éléments de patrimoine, patrimoine historique aussi. Ça, ça peut être important à faire connaître et ça peut aussi valoriser l’endroit où on vit. » Elu communautaire du Pays des Vallons de Vilaine
Les paysages ordinaires sont faits de détails dont la fragilité aujourd’hui nous échappe, alors que nous y sommes attachés. Conscients de la menace liée à l’accélération du développement périurbain, la plupart des acteurs rencontrés relèvent l’importance de mettre en valeur ces paysages communs.
Invités à décrire un paysage de l’Ille-et-Vilaine en particulier, la plupart des habitants interrogés par questionnaire retiennent de vastes étendues ; des grands ensembles naturels ou de relief (mer, côte, vallée, vallon), puis des espaces de cultures (champ, lande, paysage agricole, forêt). Un quart parlent d’une unité ; considérant un cadre géographique (partie de côte, pointe, île, baie) ou construit (port, rive, bord de, quartier, champ) à l’espace. 15 % citent un territoire administratif sans autre précision.
La plupart des élus rencontrés admettent ne pas connaître tous les paysages du département. Ils justifient souvent cette méconnaissance par l’éloignement géographique d’une partie à l’opposé du territoire. Ainsi, les représentants du secteur de Redon estiment qu’ils sont très éloignés de celui du littoral brétillien, et vis-versa ; ceux du secteur de Fougères de celui de Brocéliande. (Ces secteurs opposés observent pourtant des similitudes paysagères.)
« Il faudrait qu’on puisse faire un inventaire du damier, parce que c’est un vrai damier. Vous faites 20 km ici, 30 km là, … (…) c’est plus pareil. » Elu communautaire du Pays de Redon
La plupart expliquent que leur fonction communautaire les a amené à mieux connaître les paysages à l’échelle de la communauté de communes. Il est intéressant de noter qu’à cette échelle, comme à celle de la commune, ils parlent d’une diversité de paysages. Un seul d’entre eux pense qu’il n’est pas pertinent de considérer l’échelle communale dans un atlas départemental.
« Le moulin de Mordelles, c’est un paysage très important pour Mordelles, à mon avis, pas très important pour l’Ille-et-Vilaine. » Elu communautaire du Pays de Rennes
Les autres acteurs interrogés ont une connaissance plus dispersée des paysages de l’Ille-et-Vilaine, en fonction des endroits de l’objet de leur travail (forêts, prairies, bocage, sites touristiques, circuits, villes, lieux). Considérant les activités touristiques, les topos-guides sont réalisés à l’échelle des pays. Le Comité Départemental du Tourisme distingue entités : la Côte d’Emeraude, le pays de la Baie du Mont Saint-Michel, les Pays de Fougères, de Brocéliande, de Rennes, des Portes de Bretagnes et de Redon.
L’échelle des paysages retenues par les Brétilliens enquêtés semblent autant fonction de déterminants géographiques que des connaissances et des pratiques du territoire.
Aussi, l’échelle des paysages est variable, même pour parler des paysages du département ; de l’échelle à pied, « l’échelle humaine », à l’échelle en avion, « l’échelle du grand paysage ».
« Le paysage c’est complétement subjectif. Il y en a qui regarde le paysage au pied de leur balcon, sur la route. Moi, j’ai plutôt une vision, de ma place d’élu, sur les grands paysages, de grandes identités paysagères, qui font l’identité du paysage (…) C’est par exemple, le bassin de Rennes, voilà une grande entité paysagère. (…) Si, j’étais en avion et que je me baladais sur la côte nord, je verrai surement le littoral, du Mont Saint-Michel à … C’est un grand paysage. Je ne vous ai pas parlé du Mont Saint-Michel ?! Parce que ça, c’est un des grands paysages que j’aurai montré, peut-être un peu comme La Hague. » Elu communautaire du Pays de Rennes
« On est petit, on fait moins de deux mètres » Elu communautaire du Pays de Rennes
Tous considèrent le paysage comme une composition. Ils apprécient les ouvertures, les horizons, les panoramas, les voies et chemins, qui laissent apparaître de véritables mosaïques. Aussi, les espaces monofonctionnels, monotones, ne sont pas lu comme des paysages. La Beauce est fréquemment citée comme le contre-exemple du paysage de l’Ille-et-Vilaine.
« En Ille-et-Vilaine, ça change tout le temps, même si ça se ressemble un peu » Acteur aménagement
« Le pire pour moi c'est, effectivement, un paysage agronomique très intense sans haie sans… Mais le pire également, c'est l'image d'une forêt trop prégnante. » Acteur environnementaliste
Cette composition s’appuie sur les reliefs et les milieux, mais aussi sur ses détails, la flore, la faune. Elle est essentiellement décrite à partir des objets de nature. Les éléments bâtis sont considérés comme soutenant cette composition : ils donnent à voir le relief, la nature du sol, la biodiversité.
« La diversité, on espère toujours avoir une diversité, vallons, ruisseaux, l’eau, les arbres. Il y a une diversité du paysage qui fait qu’il est apprécié. C’est vrai qu’on a peut-être pas la même impression quand vous vous retrouvez au milieu de la Beauce avec les champs de blé à perte de vue. Peut-être que certains apprécient (…) j’aime les horizons avec mesure. » Pays de Rennes
Les paysages du département émanent d’environnements typés, combinant construction humaine et naturalité dans une composition qui leur dessine une identité particulière.
La géomorphologie déterminant des entités paysagères
Les élus interviewés qualifient le paysage de l’Ille-et-Vilaine de « vallonné ». Ils parlent de la côte, de massifs, de vallées, de vallons, de coteaux. Le relief bien que décrit comme peu accentué donne lieu à des contrastes qui mettent en scène des cadres paysagers. Les sommets sont valorisés ; ils ouvrent des horizons lointains, par la diversité de la composition qui s’offre alors au regard. Un élu note que même l’horizon marin est parsemé d’îles, de roches, de bateaux.
« C’est très apprécié d’avoir un paysage ouvert » Elu communautaire du Pays de Rennes
La nature du sous-sol compose aussi le paysage de l’Ille-et-Vilaine. Les terres riches et humides sont celles où se sont développées les fermes, les cultures, les villages puis les villes, l’industrie et l’agriculture intensive. Les terres les plus pauvres pour l’agriculture ont intéressé le secteur de la construction ; elles racontent l’histoire et la présence des carrières, elles concentrent les bois et forêts.
« On voit bien sur le nord est du département donc c’est le granit qui domine alors que on a du schiste sur le reste du département et donc là le paysage est plus vallonné donc plus difficile d’accès aussi pour l’agriculture intensive donc plus préservé. » Acteur environnementaliste
« Les gens ont travaillé, ont gratté la terre. Mes parents étaient agriculteurs à Saint-Thurial, ils amenaient les vaches sur les rochers. A un moment donné, ils se sont dit, on va aller ailleurs parce que sinon on va creuser de faim. Ils ont eu raison. Et ça n’est pas si vieux que ça, ça fait 50 ans. Ça forge les caractères. Je pense que le rocher, habiter sur ces landes ou en forêt, ça forge les caractères. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande
Sur ces collines de Paimpont , le relief est marqué. Les affleurements de schistes ont donné la couleur rouge à cette terre, la lande est dessinée par ce sol aride et une végétation de pins, de bruyères, d’ajoncs et d’herbes sèches.
A côté de la pierre apparente des landes ou des carrières, les élus parlent des bâtiments anciens qui, construits à partir des matériaux du sol, local, restituent encore aujourd’hui des frontières géologiques du paysage.
Les élus rencontrés s’appuient sur ces éléments pour signifier les limites de territoires ou pour parler de la diversité de leurs horizons.
« C’est surtout une barrière physique forte entre Rennes Métropole et nous. Quand vous venez par l’autoroute, vous traversez une forêt et en plus, vous avez une espèce de tunnel, un pont c’est un passage à niveau au-dessus ; symboliquement, ça marque un peu une porte, vous rentrez dans un autre paysage. » Elu communautaire du Pays de Rennes
« Messac-Guipry, tout ça, ce n’est plus du tout pareil. Et après, on rentre vraiment dans un territoire que moi, j’assimile au Pays de Redon, avec les landes, les palis. Vous avez vu, on essaie de garder ça, cet aspect paysager, de palis, qui sont des ardoises, vous avez les carrières de schiste là. Là, on est dedans, avec nos voisins de Loire-Atlantique. On a beaucoup plus de similitude, les terres agricoles, le fonctionnement, avec nos voisins là qu’avec Bain-de-Bretagne. » Elu communautaire du Pays de Redon
La géomorphologie et la géologie caractérisent les territoires du département et en dessinent des limites paysagères souvent marquées.
L’empreinte de l’eau
L’eau figure dans la majorité des images de paysages de l’Ille-et-Vilaine rapportées par les habitants (note). Les élus communautaires interviewés préfèrent eux parler de la reconquête de la qualité de l’eau qu’ils associent à l’actualité de leur action sur le bocage Brétillien dans le programme Breizh Bocage.
Aussi, l’eau semble permanente dans les paysages de l’Ille-et-Vilaine, qu’elle soit directement visible ou indirectement lisible.
L’eau est associée à la vie et au bien-être. Elle est liée à la nature. La faune et la flore se concentrent autour des points d’eau. Plusieurs acteurs rencontrés rappellent qu’elle nous est indispensable et que nous en sommes essentiellement constitués. La permanence de son mouvement (accentué par le rythme des marées pour la mer) offre des paysages toujours changeants, et un spectacle perpétuel dans leur contemplation où l’on s’attarde. Ses paysages s’inscrivent ainsi au-delà du temps et revêt un caractère particulièrement agréable. Le sentiment de liberté y fait écho, en particulier l’horizon marin.
« Il n’y a pas de jour où il n’y en a pas un qui me dit : « tiens, regarde la mer : t’as vu comme elle est jolie ! » C’est vrai, on s’en lasse pas quoi. » Acteur des collectivités
« Quand vous avez gouter la mer, la mer, c’est la liberté. » Elu communautaire du Pays de Saint-Malo
L’observation du paysage depuis la rivière ou la mer semble privilégiée. Sur l’eau, plusieurs personnes racontent le silence, la quiétude qui les rend plus sensibles à ce qui les entourent. Les marins rencontrés détaillent de façon fine les couleurs et les sons des paysages qu’ils choisissent de décrire.
Dès lors qu’elle est visible, l’eau devient un élément majeur et central du paysage qu’elle décrit et façonne. Ainsi, les élus des secteurs du littoral s’attarde sur la mer dans le dessin de la côte, ceux des vallées sur les rivières qui les ont creusé (la Vilaine et le Couesnon sont principalement citées).
Même les ouvrages qui la canalise revêtent une dimension paysagère qui n’est, là, pas discutée (le canal d’Ille-et-Rance, les barrages de Haute Vilaine, de La Cantache, du Couesnon sont cités).
« On voit ces zones de bas-fond, qui sont très vertes, parce que les arbres se sont réfugiés ou ont été épargnés dans ces zones-là. » Acteur environnementaliste
Selon leur lieu de résidence, les élus rencontrés du pays de Rennes et du pays de Saint-Malo évoquent les chemins de hallage du canal d’Ille-et-Rance, ceux des pays des Vallons de Vilaine et de Redon, les bords de la rivière de la Vilaine ; prisés aussi par les citadins et les grands marcheurs. Les élus du Pays de Fougères et ceux du nord du pays de Rennes parlent des bords du Couesnon, pour les sportifs. Le lac de Trémelin, l’étang du Boulet, l’étang d’Ouée, l’étang de Marcillé-Robert sont les plans d’eau cités par les élus des localités où ils se trouvent ; dédiés à un tourisme local ou de passage.
« Ça fait partie des équipements structurants sur lesquels on souhaite des retombées économiques, mais également éducatives, sociales, qui ne se mesurent pas. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande
Le patrimoine bâti lié à l’eau (les moulins, les chapelles) participe de ces paysages et de leur attrait.
Les élus décrivent la quiétude et l’importance de la fréquentation des berges de rivières et des bords des plans d’eau aménagés (même si l’une et l’autre peuvent paraître contradictoires). Ces espaces artificiels semblent suivre les passages que l’eau s’est frayée pour circuler et les espaces où elle s’est accumulée. Plats, ces espaces sont facilement accessibles. Publics et gratuits, ces endroits constituent des lieux de rassemblement. Ils sont aussi prisés en tant qu’espace de loisirs, pour les activités nautiques et de plein-air. Les acteurs rencontrés parlent moins de la plage, pour laquelle ses caractéristiques semblent acquis.
Les voies douces le long des canaux favorisent la circulation et la rencontre ; elles constituent des voies privilégiées de liaisons entre les communes. Aussi, certains élus mettent en avant la réalisation ou le projet de chemins communautaires pour longer le cours d’eau de leur localité; soulignant leur action auprès des nombreux propriétaires. Quelques-uns des élus dont les secteurs sont concernés par le périmètre de captage des eaux de la Ville de Rennes regrettent que ses abords ne soient pas du tout accessibles.
Les grandes rivières (de la Vilaine et du Couesnon), plus visibles et plus ouvertes, sont sous pression ; elles concentrent les aménagements, les représentations, et les enjeux.
Les ruisseaux, cachés par la végétation qui pousse le long, sont peu visibles dans le paysage. Ils sont aussi moins évoqués par les élus rencontrés. Ceux qui en parlent considèrent qu’ils offrent des continuités écologiques plus constantes que les bords des rivières. Néanmoins, leurs berges sont fragilisées du fait de l’absence d’entretien (les arbres grandissent et finissent par faire céder la rive sous leur poids).
Si le drainage est moins évoqué que le remembrement (et principalement par les élus exploitants agricoles), la création de réseaux hydrauliques a également concouru à l’amélioration des conditions d’exploitation des parcelles et à la transformation du paysage agricole du département. Les techniciens expliquent qu’elle est engendré la réduction du débit des ruisseaux (ce qui accentue les problèmes de pollution de l’eau) jusqu’à la disparition de nombre d’entre eux.
« Le chevelu n’existe plus en Ille et Vilaine. Il y a les cours d’eau, les cours d’eau principaux… (…) Quand je vois les lambeaux de ce qui reste des paysages d’Ille et Vilaine, qui est maintenu, je dis que le paysage d’Ille et Vilaine d’il y a, allez 40 ans, ça devait être extraordinaire. » Acteur environnementaliste
« La pollution est inversement proportionnelle au débit du ruisseau. (…) c’est plus grave de traiter en bordure d’un chevelu que de traiter en bordure du Meu ou de la Vilaine. » Acteur environnementaliste
L’hydraulicien explique qu’il était fréquent autrefois d’avoir au sein de la ferme une retenue creusée servant de réserve en eau. Petite pièce d’eau peu profonde, la mare s’alimente par soit la nappe, soit par le fond, soit par la pluie ; elle n’est pas en contact avec le réseau hydrographique.
« La particularité de construire des maisons en terre dans le pays de Rennes, autrefois, généralement la terre elle venait d’à côté, donc on creusait cette terre et il restait des trous donc qui avaient pour fonction des réserves incendie, pour laver le linge aussi, pour abreuver les animaux, pour le rouissage du lin, pour faire une petite… un vivier, un tas de choses comme ça, plein plein de fonctions. Et c’est vrai que le pays de Rennes est très très riche en mare. » Acteur environnementaliste
Avec l’artificialisation des réseaux d’eau, le département a vu les étangs se multiplier. Plus profond, ceux-ci s’alimentent par le réseau hydrographique (réseau naturel). La densité des étangs a accéléré l’écoulement et l’évaporation de l’eau. Beaucoup de cours d’eau se sont ainsi trouvés à sec. Elle a eu également un impact sur la faune aquatique des rivières et les zones humides. Les zones humides sont, de la même façon, peu abordées.
L’importance de l’arbre
L’arbre apparaît omniprésent dans le paysage retracé de l’Ille-et-Vilaine. Il justifie souvent du caractère paysager de l’environnement décrit ; en particulier pour parler de l’intégration paysagère dans l’urbanisation. Le paysage décrit par les élus interviewés est presque toujours planté.
« On peut rester devant un arbre, le regarder ; c’est beau. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande
Dans le grand paysage, l’arbre ponctue ou souligne le relief. Il est un objet de paysage (ou un cadre s’il s’agit de bocage) permettant au regard de se poser. Il rassure en rapprochant d’une dimension humaine un vaste horizon. Il signifie la temporalité du paysage. Les couleurs changeantes de son feuillage reflètent les saisons qui se succèdent.
L’arbre propose un repère à partir duquel s’assoie la présence de l’homme dans un temps et un cadre « nature » .
Sa longévité lui confère une forte valeur affective. L’arbre renvoie au souvenir ; d’un parent, d’une amitié, à l’enfance (aux jeux perchés sur ses branches). Il est raconté comme un bien commun, souvent planté par, avec ou pour un proche, et qui « profite à tous ».
« On regardait les arbres et on se disait : « c’est des arbres de ton enfance, de mon enfance, de son enfance, de notre enfance », il y avait une chose comme ça qui pouvait presque s’auto-approprier par tous (…) Il y a certains arbres, à côté d’eux, on a une sorte de comptine enfantine, et quand bien même ce n’est pas la même comptine, ce n’est pas le même arbre pour tous, c’est quand même le même arbre. » Acteur culturel
Sa valeur patrimoniale émane également de la permanence perçue de sa présence dans l’histoire du lieu où il se trouve. Les vieux arbres sont particulièrement considérés. Hauts et massifs, ils racontent qu’ils ont côtoyé nos aïeuls. Ils marquent un lien intergénérationnel.
« Mon grand-père, un jour, il y avait un très beau chêne sur un talus, et j'étais enfant, j'avais une dizaine d'années, et puis, il dit : "il est temps de l'abattre ce chêne", il était arrivé à maturité, il dit : "tu vois, cet arbre là, je vais l'abattre, mais je n'en reverrai pas un comme ça un jour à cet endroit". » Pays des Vallons de Vilaine
« C’est les deux iffs, voilà ! C’est le cœur du cœur de la commune. (…) C’est de l’histoire, ça fait partie de l’histoire de la commune. C’est quelque chose qui a été planté il y a 300, 400 ans, et qui dure, comme l’église. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande
La valeur identitaire de l’arbre est appuyée par la distinction d’essences locales, considérées comme étant, en premier lieu, le chêne pédonculé, puis le châtaignier et le hêtre en Ille-et-Vilaine. Les élus qui en parlent listent rarement d’autres essences.
« Vous allez voir, bientôt on va être en guerre contre des paysages qui ne sont plus les nôtres, et qui seront complétement importés de jardineries avec des plantes qui viennent d’ailleurs, qui vont faire disparaître les nôtres. » Elu communautaire du Pays de Saint-Malo
Les arbustes et les fleurs sont moins cités que les arbres, néanmoins certains ressortent aussi comme typique du département.
« Il y a les ajoncs, il y a le genêt il y la bruyère, c’est quand même les trucs emblématique de l’Ille et Vilaine. » Acteur des sports de plein-air
Le forestier rencontré relativise la qualification d’ « essence locale ». Il explique que si le châtaignier est le deuxième feuillu de par sa représentation en Ille-et-Vilaine, il n’en est pas moins une essence introduite par les Romains à l'époque Gallo-romaine pour des raisons vivrières : pour son fruit au départ et pour son bois ensuite. Le chêne pédonculé, chêne des talus, que l’on trouve aussi beaucoup en forêt, est l’arbre le plus fréquent en Ille-et-Vilaine. Beaucoup parlent de la particularité de la forme de l’arbre en ragosse dans le paysage bocager bretillien. Ces arbres taillés en émondes marquent le caractère rural et agricole du territoire. La plupart en racontent l’histoire, héritée du rapport du fermier au propriétaire du champ ; ce dernier laissait le fermier récupérer les branches pour son bois de chauffage et exploitait le tronc pour le bois d’œuvre.
« On faisait du fagot avec les branches latérales et on pouvait faire de la buchette pour faire du charbon de bois ou des petites buches sur la partie sommitale. » Acteur environnementaliste
« On a retrouvé des ragosses ou des ragoles entre guillemets fossilisées qui ont été daté au Carbonne 14 à l’époque carolingienne. C’est au moins médiéval, donc extrêmement ancien. » Acteur environnementaliste
Plusieurs élus ajoutent que la particularité de cette taille de l’arbre surprend, voire choque, des personnes qui ne sont pas originaires du département. L’arbre a ainsi été associé au fermage. Symbolisant le rapport à la propriété, il a été souvent arraché lorsque l’exploitant accédait à la propriété ; le phénomène a été particulièrement important dans les années 60 et 70. L’arrachage s’est poursuivi ensuite lors de vente de terrain pour ne pas donner le bois au nouveau propriétaire.
« Il y a eu cette opposition propriétaire terrien- agriculteurs, le propriétaire terrien c’était l’arbre. Donc, là, on est allé aussi jusqu’au bout du système. Si vous détruisez l’arbre, on détruisait le propriétaire. » Elu communautaire du Pays de Vitré
L’arbre est également rapproché de sa valeur écologique. Elle est presque autant évoquée par les élus que sa valeur affective ; souvent associée à l’évocation du programme de replantations Breizh Bocage auquel leur communauté de communes participe. Ils parlent de son rôle en faveur de la perméabilité du sol, pour permettre à l’eau d’être filtrée et éviter l’érosion des sols. Un acteur environnementaliste explique que, sur un sol schisteux, ses racines facilite la pénétration de l’eau dans le sol rocheux imperméable.
« L’arbre est indispensable sur le plan écologique, comme élément fédérateur entre l’eau, l’air et le sol. » Acteur environnementaliste
Plusieurs personnes parlent aussi de l’abri qu’il offre aux animaux dans les prairies, et du refuge qu’il constitue pour la petite faune. Ils sont moins nombreux à faire mention de la photosynthèse.
Les valeurs affective, patrimoniale, identitaire et écologique associée à l’arbre le rendent souvent remarquable.
L’arbre est peu évoqué pour sa valeur économique. Les individus qui parlent du bois de chauffage, de charpente ou de menuiserie, insistent sur l’utilisation ancestrale de l’arbre pour également abriter l’homme et s’inquiètent de son devenir. Si d’autres matériaux ont conduit à réduire l’usage, les représentants des collectivités mettent en avant sa qualité d’énergie locale renouvelable et l’actualité de la création de filières bois-énergie.
« Avant c’était le bois qui donnait la valeur de la ferme. Il était plus cher que le terrain. » Acteur environnementaliste
« En descendant le chemin, il y avait une avenue de châtaignier. Donc, les avenues pour le propriétaire, ce n’était pas que du décor, ça servait, on les exploitait, ça servait à faire l’église du village, à faire les grandes charpentes, etc. c’était un placement, pas une déco. » Acteur environnementaliste
Alors, on parle de bocage, sans en distinguer la composition. Le représentant de l’association l’Arbre Indispensable retenant quatre fonctions de l’arbre ajoute, à celles rapportées par les acteurs rencontrés, la fonction alimentaire et, en cela, s’inquiète de la variété des essences d’arbres ici plantées.
« Les quatre fonctions de l’arbre : il est essentiel pour notre équilibre alimentaire (celui des hommes, des animaux, des insectes), il fait partie de notre culture et constitue un lien entre les générations, entre notre histoire et notre devenir, il participe de notre cadre de vie ; il permet la production de matières premières (construction, énergie, transport, artisanat, industrie) ; sur le plan écologique, il est un élément fédérateur entre l’eau, le sol, l’air), essentiel au maintien de la biodiversité (eau, sol, air). » Acteur environnementaliste
Détourné de sa valeur économique, plusieurs acteurs observent que l’entretien de l’arbre, de même que celui du bocage, sont négligés. L’arbre tend à être isolé de l’écosystème dont il participe.
Le bâti ancien
Le bâti n’est pas abordé de façon spontanée par la plupart des personnes interviewées pour parler des paysages de leur département. Il est peu considéré dans l’évocation des paysages par les habitants enquêtés. Considérant la naturalité des paysages, seul le bâti ancien participe des paysages urbains décrits ; parce qu’il reflète la nature du sol et souligne ainsi des territoires géographiques.
« Ce qui m’a marqué aussi en arrivant, c’est une autre composante pour moi, c’est l’habitat traditionnel. Quand on circule sur quelques kilomètres, on voit des maisons en schiste rouge, à Pont-Réan, on fait quelques kilomètres, on trouve des bâtiments en grès armoricain du grès gris et quand on est, souvent plus dans la campagne, on trouve des maisons en torchis, une base en roche, mais une maison en terre. Et je trouve que ça c’est un élément marquant du paysage, à une échelle bien sûr de plus en plus réduite, mais on voit une variabilité quand on se déplace. (…) il y a un peu une mosaïque de milieux. » Elu communautaire du Pays de Vallons de Vilaine
Les personnes rencontrées considèrent ainsi principalement les matériaux de construction (grès, schiste, granit, terre) des maisons anciennes ; quelques érudits retiennent aussi la spécificité des matériaux (pierre ou bois) pour l’encadrement des ouvertures (portes et fenêtres) sur ces bâtiments. Un élu parle également de la présence de la pierre locale dans l’édification de limites parcellaires dans l’agglomération et se félicite de s’en être inspiré dans l’aménagement récent de son centre-bourg pour de petits murets. Les élus associent ce bâti patrimonial à la ressource minière et à l’histoire économique locales.
« Les carrières venaient d’une ligne vers le Val d’Isé et même Combourtillé, il y avait ce qu’on appelait le rocher et là il y avait des petites carrières autrefois, et c’est là que la pierre se prenait, la pierre d’à côté qu’on utilisait pour les constructions. L’aspect du paysage se modifie par la structure des bâtiments. » Pays de Fougères
Plusieurs observent que l’alternance des matériaux de construction dans leurs déplacements appuie la traversée d’espaces, de paysages ou de territoires du département.
Plusieurs personnes apprécient aujourd’hui la qualité des restaurations de maisons anciennes, alors qu’il y a peu encore on mélangeait maladroitement des matériaux qui, au-delà de les dévaloriser, les fragilisaient. Elles lient cette prise de conscience à la qualité de l’information et de la sensibilisation à ces restaurations émanant en particulier des Architectes et Bâtiments de France.
« On a beaucoup de châteaux, de vieilles bâtisses qui sont entretenues, on n’a plus comme il y a 20 ou 25 ans des maisons délabrées, des vieilles ruines. (…) Les gens maintenant font très attention quand ils restaurent. Le ciment, la chaux, le ciment, c’est de côté, ils prennent maintenant plutôt des matériaux qui respirent comme la chaux, le paillage. Ça, ça a évolué aussi. Parce qu’autrefois les gens avaient quelquefois des maisons magnifiques, et puis ils mettaient des ouvertures en PVC ou des choses comme ça. Aujourd’hui, les gens se font beaucoup plus conseiller qu’à une époque.» Elu communautaire du Pays de Brocéliande
Les élus des pays de Fougères ou de Vitré abordent « bien sûr » des châteaux des Marches de Bretagne qui, associés à l’histoire de la Bretagne et la morphologie de leurs villes, marquent l’identité de leurs territoires. Les abords et le rayonnement de l’édifice dans son environnement sont plus racontés que le château. Ils sont des lieux touristiques, visités et animés.
C’est en tant que tels qu’ils sont évoqués par les acteurs du domaine. Ces élus ne s’attardent pas à la description des paysages qui s’appuient sur le patrimoine fortifié ou de demeures soignées, à l’exception de ceux qui habitent ou travaillent dans ce cadre. Le patrimoine vernaculaire est plus largement évoqué, comme participant