Cartes postales, guides touristisques, marketing territorial, Internet constituent un ensemble de représentations populaires qui ont formé et forment encore le goût aux paysages. En Ille-et-Vilaine, si les paysages dignes d'être représentés restent globalement les mêmes depuis la fin du XIXe siècle, on peut en marge percevoir certains infléchissements.
La carte postale ancienne : des images plus diverses et plus représentatives
Au XXe siècle, la carte postale devient l’un des modes les plus importants de diffusion d’images de paysages. L’Ille-et-Vilaine en est largement couverte. Les cartes postales reflètent directement une hiérarchie des sites touristiques déjà bien installée qui focalise clairement les regards sur les paysages de la côte et les pôles urbains de Rennes, de Fougères, de Vitré et Redon. Dol-de-Bretagne et le mont Dol, Combourg et la forêt de Brocéliande sont également très représentés.
Cette carte postale peut se lire comme une véritable métaphore sur le regard et le paysage. La filiation entre la peinture et la photographie (qui trouve dans la carte postale au début du XXe siècle un support de diffusion exceptionnel) est explicitement ici mise en scène. Une mise en abîme aussi (le photographe représentant le peintre peignant) qui permet au photographe de revendiquer l’originalité de son regard sur le paysage en général, et sur celui des bords de la Rance en particulier. A la posture du peintre ou du touriste (?), en bas, à gauche de l’image, qui plante classiquement son chevalet face à la Rance en se détournant de ce qui se passe autour de lui, le photographe, déjà reporter, répond en choisissant de déporter son regard et d’élargir son cadre. Tout en conservant une composition classique selon une grande diagonale, le photographe réduit la mer à un motif auxiliaire, au profit d’un paysage « ordinaire » fait de petites maisons donnant sur une plage sans attrait particulier - on est loin de l’élégance des stations balnéaires… Mais c’est en mettant au premier plan la jeune femme et sa charrette, que le photographe, sans céder au pittoresque, imprime une véritable émotion à ce paysage du port de Saint-Suliac.
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La côte, les villes, Brocéliande, une reconnaissance sans surprise...
Le grand nombre de cartes postales recensées sur les sites de la côte (Saint-Malo, Dinard, Cancale), les villes (Rennes, Combourg, villes des « Marches », Dol et Redon) et la forêt de Brocéliande confirme une hiérarchisation des sites et des paysages qui s’est mise en place depuis le milieu du XIXe siècle et qui a peu évolué depuis.
En dehors de ces sites, l’Ille-et-Vilaine se différencie des autres départements bretons par des représentations relativement réparties sur l’ensemble de son territoire. La grande opposition Armor / Argoat est moins univoque ici.
La côte (Saint-Malo, Saint-Servan, Dinard, Cancale et Saint-Briac), les villes principales (Fougères, Combourg, Rennes et Vitré). On note l’annexion du mont Saint-Michel (Dol-de-Bretagne est oubliée) et l’absence plus étonnante de la forêt de Brocéliande, sans doute dûe à une orientation éditoriale plus favorable aux vieilles pierres.
Collection particulière
Mais peu de territoires dépourvus d’images
En faisant disparaître de la carte les communes où le nombre de cartes postales est le plus important, on note que l’arrière-pays côtier (vallée de la Rance, Dol-de-Bretagne et le mont Dol) a aussi une bonne visibilité. Il en est de même des sites de rivières (Vilaine, Couesnon, alentours du canal de l’Ille-et-Rance...) et des étangs (Saint-Aubin-du-Cormier, Bain-de-Bretagne…). Les sites mégalithiques â€" Janzé, Essé (La Roche-aux-Fées), Montfort-sur-Meu (landes de Coulon et bois du Buisson), le Mont-Dol (menhir de Champ-Dolent) - bénéficient également d’une bonne couverture photographique.
En creux, quelques secteurs apparaissent en réel déficit de représentation (Bassin de Fougères, Plateau de Vitré, Bassin de Pleine-Fougères, Massif de Saint-Pierre-de-Plesguen).
Les rivières et les étangs sont très souvent représentés, la lande beaucoup plus rarement. La campagne bocagère est exceptionnellement mise en image et presqu’uniquement grâce à des vues aériennes.
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Des motifs surtout patrimoniaux
Au-delà de la répartition géographique des représentations, c’est le patrimoine bâti (châteaux, églises) et les attributs de la côte (plage, ports...) qui mobilisent l’essentiel des représentations (la recherche a été effectuée sur un « fonds » de plus de 20 000 cartes postales). On note aussi l’importance des motifs liés à l'eau (étangs, canaux, rivières) et à la forêt. Lieux de détente et de promenade, ces derniers sont aussi des lieux où se concentrent les activités industrielles ou artisanales bien présentes au début du XXe siècle en Ille-et-Vilaine.
Les bourgs et les villages
Les cartes postales anciennes s’attachent aussi beaucoup à la représentation des bourgs et des villages, lieux de vie d’une grande partie des habitants du département. Les cadrages, quand cela s’y prête, mettent en valeur les qualités de leurs sites (reliefs, présence d’une rivière ou d’un plan d’eau). La carte postale du début du XXe siècle est en cela très proche de la tradition picturale.
Plus tard, dans les années 1950-1960, la vogue de la photographie aérienne donne une image du centre urbain ou du village mais aussi de son environnement de campagne. En s’affranchissant des obstacles visuels des reliefs et des arbres, la prise de vue aérienne oblique permet notamment pour la première fois de prendre la mesure de l’importance du bocage jusque là très peu représenté. Mais elle tend aussi à construire une vision plus stéréotypée des lieux qui finissent tous par se ressembler un peu. Alors que les différences d’ambiance tiennent souvent à des détails ou des ressentis fragiles, elles sont gommées ou aplaties par la prise de vue plongeante.
La carte postale met en valeur le paysage dans lequel est inséré le bourg : au premier plan, la Vilaine traversée par le pont de chemin de fer, au second, les champs, les vergers et la route que l’on devine grâce à son alignement d’arbres. Enfin, au fond, le bourg dont la silhouette émerge de l’horizon grâce à sa position sur un point haut et son clocher.
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Cote : FRAD035_04_6FI35033_0027_R_P_01
Cette image privilégie la représentation du méandre de la Vilaine, et relègue le bourg hors cadre. Elle témoigne cependant des changements opérés dans le paysage entre les deux périodes (champs plus ouverts, ensembles de lotissements jusqu’alors inexistants devenus très importants…) mais aussi de la banalisation du regard sur le paysage. Alors que la carte postale plus ancienne mettait l’ensemble des composantes en scène, la vue aérienne se contente d’un constat sans émotion.
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Cote : FRAD035_04_6FI35033_0029_R_P
Ces photos aériennes laissent voir aussi les nouveaux paysages créés par l’urbanisation. Il n’est pas rare que les photographies soient cadrées uniquement sur les ensembles de maisons individuelles situées en marge des bourgs et des villes.
Entre ville et campagne, le lotissement, un motif assez présent dans les cartes postales des années 1970-1980.
Dans cette carte postale, un condensé des « motifs » de paysage le plus fréquemment représentés. L’église, photographiée deux fois, la première en plan rapproché, la seconde dans un cadre champêtre, le château, la pièce d’eau et, en haut à gauche, le lotissement communal, signe de la modernité et de la vitalité de la commune.
Collection particulière
La représentation du lotissement n’est plus guère présente aujourd’hui dans la carte postale. Néanmoins, elle n’a pas totalement disparu des représentations contemporaines. Il n’est pas rare qu’à l’occasion de nouvelles opérations, les ensembles de maisons individuelles illustrent certains pages des bulletins d’information communaux ou de leurs sites internet.
Une grande absente, la campagne
Dans ces fonds de cartes postales anciennes, la grande absente est l’image de campagne. Alors que le bocage, on le sait, est présent presque partout dans le département au début du XXe siècle, les représentations en sont quasiment inexistantes. Seuls témoignent de la place occupée par le bocage et des modes de production qui y sont associés quelques arbres taillés en ragosses au détour d’une image de route ou d’entrée de village. Il en est de même du bétail et de l’élevage souvent utilisés, pour satisfaire au pittoresque, dans les représentations de plans d’eaux ou de rivières.
Une allée boisée, « rabine » menant à une bâtisse que l’on imagine être une ferme, un pont arqué au-dessus d’une rivière, une charrette : un « paysage » aux références presque japonisantes. Au fond, la présence de trois grands arbres taillés en ragosses rappelle malgré tout que l’on est bien dans la campagne d’Ille-et-Vilaine.
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Cote : FRAD035_04_6FI35047_0070_R_P_01
A Baulon, l’étang, comme souvent ailleurs en Ille-et-Vilaine, est le site à photographier, après l’église, la rue ou la place de village. Ici, à l’arrière-plan, la grande densité de bois et de haies dessine un bocage très fermé. Les quelques vaches qui paissent au bord de la pièce d’eau n’arrivent pas, malgré la petite touche de pittoresque, à égayer une campagne qui évoque surtout un grand dénuement.
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Cote : FRAD035_04_6FI35016_0009_R_P
Les villes sous l’angle patrimonial
Les villes sont très représentées et principalement pour leurs caractères patrimoniaux et architecturaux. Ainsi il sera difficile de trouver une carte postale de Fougères ou de Vitré qui ne prenne pas pour sujet leurs châteaux ou leurs rues médiévales.
Rennes est un cas un peu différent. Les cartes postales des années 1960-70 n’hésitaient pas à mettre en valeur les nouvelles constructions et les grands ensembles. Aujourd’hui, ces paysages urbains ont complètement disparu des représentations. _
Une vue qui met en valeur l’organisation urbaine de Rennes. La rivière canalisée et les espaces publics qui l’entourent créent une percée visuelle sur un horizon de coteaux boisés.
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Cote : FRAD035_04_6FI35238_0276_R_P
Objet de fierté et de modernité, les grands ensembles ont été valorisés par l’image dans les premières années qui ont suivi leur construction. Aujourd’hui, à Rennes comme ailleurs, ils ont complètement disparu des représentations institutionnelles ou touristiques.
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Cote : FRAD035_04_6FI35238_0943_R_P
Les images d’aujourd’hui : davantage de nature et de patrimoine
Guides et beaux livres : dans la tradition des paysages reconnus
Ce montage montre la variété des sites représentés quand le sujet du livre ou du guide est le département dans son ensemble et quand il est désigné par son nom «Ille-et-Vilaine ». La côte est représentée bien-sûr, avec le mont Saint-Michel, Saint-Malo et Dinard, mais les sites et paysages reconnus de l’intérieur comme le canal d’Ille-et-Rance, la Vilaine, Rennes et Fougères sont aussi considérés comme représentatifs du département. On note toujours l’absence de représentations des campagnes.
Quand l’Ille-et-Vilaine est incluse dans l’ensemble géographique plus vaste de la Bretagne Nord ou assimilée à la Haute Bretagne, ce qui est assez fréquent, les paysages intérieurs disparaissent des couvertures pour laisser la place à des sujets exclusivement marins ou côtiers qui peuvent se situer soit en Ille-et-Vilaine, soit dans les Côtes-d’Armor.
Sur Internet, la côte toujours plébiscitée, la cote des villes en baisse
Aujourd’hui, Internet est un medium très important pour la diffusion des images de paysages (surtout des photographies) et des territoires. Les sites des offices de tourisme, des encyclopédies et les images des internautes construisent leurs représentations contemporaines.
Entre les cartes postales anciennes et les photographies diffusées aujourd’hui sur Internet, on note une grande constance quantitative de la répartition. Les sites les plus photographiés sont toujours les mêmes : la côte, de Saint-Briac à Cancale, avec en tête Saint-Malo, Dinard et Cancale, à laquelle on peut ajouter la vallée de la Rance. Les villes restent également très productrices d’images, mais leur place est moins grande qu’autrefois. En revanche, la forêt de Brocéliande a toujours autant de succès, à égalité avec les villes des Marches.
Des motifs toujours très patrimoniaux
Aujourd’hui, la plage, les ports devancent les sujets patrimoniaux des châteaux et relèguent même les églises derrière les forêts. Les motifs liés à l’eau sont toujours très présents.
Si l’on exclue les images de la côte et de la mer, les photos représentent surtout le patrimoine architectural (églises, châteaux, maisons…). Les images de grands paysages ou de campagne sont plus rares et jouent souvent la carte de l’esthétisme (couchers de soleil, jeux de lumière…). On remarque aussi le nombre important des vues le long de la Rance.
La présence d’animaux est souvent pour l’internaute-photographe un argument de prise de vue.
Les points de vue élevés permettant une vision panoramique sur l’ensemble du paysage sont toujours aussi prisés des photographes amateurs.