La restructuration de l’espace agricole puis l’étalement périurbain marquent, à partir des années 60, l’accélération des changements de l’environnement brétillien. S’ils semblent avoir eu peu d’impact sur les paysages aujourd’hui perçus, ces changements révèlent un décalage entre l’environnement et ses représentations. Celui-ci peut-il contrarier la dynamique de développement en cours ?

L’impact des remembrements sur le paysage agricole

Le remembrement constitue un changement brutal et important « du paysage de l’Ille-et-Vilaine » pour les acteurs interrogés. Il est systématiquement décrit comme la destruction massive de haies massives qui a concerné l’ensemble des communes du département entre 1962 et 2003. Le drainage, qui l’a accompagné, pour accélérer l’écoulement de l’eau, a conduit à l’asséchement de nappes souterraines et à la destruction de nombreux ruisseaux. Ce dernier est moins fréquemment cité.

Le remembrement est décrié pour son caractère excessif ; tant du point de vue agronomique qu’écologique. Il a engendré l’érosion des sols et la destruction de l’habitat de nombreuses espèces floristiques et faunistiques.

« On a quasiment tout rasé (…) des aménagements de l’espace agricole qui ont été saccagés, qui ont été mal faits, travail saccagé, meurtrier presque. » Elu communautaire du Pays de Fougères

Cette transformation contrarie aussi les paysages agricoles tels que se les représentent la plupart des Brétilliens. Impactant l’arbre et de l’eau, elle touche les principaux repères de leurs paysages. Certains interviewés notent d’ailleurs qu’avec le remembrement se sont multipliées les plantations d’arbres à proximité des maisons. L’hydrologue explique aussi qu’avec le drainage les étangs se sont répandus près des hameaux ou des maisons isolées (et les marres ont presque disparu du paysage).

Espace agricole de grandes cultures - Fig. : Une photo symbolique des transformations des espaces ruraux : les grandes parcelles, symboles des effets du remembrement, ouvrent de vastes dégagements. (Chateaugiron)

Les élus et les techniciens rencontrés admettent leur responsabilité dans cette déstructuration de l’écosystème et du paysage. Ils reconnaissent avoir été les instigateurs de la restructuration du parcellaire agricole pour une meilleure productivité d’abord recherchée « pour nourrir la population française » et de meilleures conditions de travail pour les agriculteurs.

« A une époque où on a laissé faire tout et n’importe quoi. » Elu communautaire du Pays de Rennes

Quelque soit leur âge (supérieur à 30 ans cependant) et leur origine géographique, les Bretilliens interviewées racontent qu’ils ont été les acteurs ou les témoins de remembrements. Aujourd’hui, conscients de ses méfaits, ils se sentent devoir « réparer », « reconstruire » un paysage bocager.

Aussi, ils mettent en avant les actions de préservation et de restauration du bocage qu’ils ont engagé. Ils ajoutent que, dès les années 80, les remembrements ont progressivement été associés à des programmes de replantations et qu’aujourd’hui, on ne parle plus de remembrement mais d’aménagement foncier (note). 

Plusieurs constatent que le remembrement a été déclencheur dans leur prise de conscience de la fragilisation du paysage.

L’absence de paysage dans l’étalement périurbain

L’Ille-et-Vilaine compte un peu plus d’un million d’habitants aujourd’hui, soit près d’un breton sur trois. La densité de population est de près de 150 habitants par km2 en 2009 (contre 128 en 1999). Aussi, 85 % de cette population résident en zone urbaine.

Les cinq aires urbaines (note) (Rennes, Vitré, Fougères, Saint-Malo, Redon) continuent de s’étendre. Progressant respectivement de 67 %, 53 %, 22 % et 8 %, les aires urbaines de Rennes, Fougères, Saint-Malo et Vitré tendent à se rejoindre et représentent désormais 67 % du territoire départemental.

La population brétillienne a progressé de plus de 10 % en 10 ans ; le taux de croissance moyen se maintiendrait à 0,9 % par an à l’horizon 2030.

Cette dynamique démographique et urbanistique se trouve également au niveau de l’économie. Avec une progression des emplois près de 2 fois plus importante que celle de la population, le département compte plus d’emplois que d’actifs.

En 2011, 76 % des emplois relèvent du secteur tertiaire, 16 % de l’industrie, 7 % de la construction et 1 % de l’agriculture. Si la prédominance du secteur tertiaire se conjugue avec la concentration des pôles d’emploi, les entreprises bretilliennes restent relativement dispersées. Ceci est à rapprocher du nombre important de petites entreprises (des domaines de l’artisanat et du commerce, mais aussi du tourisme, ainsi que des services, aux entreprises et aux particuliers) présentes au sein du département. Sur plus de 81 000 établissements actifs, 66 % ne comptent aucun salarié, 26 % de 1 à 9.

L’extension des aires urbaines place les voies rapides de circulation au cœur du développement du territoire départemental. Aussi, les espaces résidentiels et les zones d’activités continuent de croître rapidement, en fonction de la proximité des axes routiers et du pôle urbain. Considérant l’attrait, économique des capitales, et touristique du littoral brétillien, certains prédisent une conurbation sur l’axe Saint-Malo, Rennes, Nantes.

Ainsi, le développement périurbain se poursuit, conjuguant l’étalement des agglomérations avec le développement des voies de communication. Pourtant les brétilliens rencontrés ne considèrent pas cet environnement comme un paysage de l’Ille-et-Vilaine.

L’espace périurbain est associé aux formes urbaines standardisées, qu’il s’agisse des quartiers pavillonnaires ou des zones d’activités réalisés des années 60 à aujourd’hui. Situées à la périphérie des agglomérations ou aux intersections des principales axes routiers, elles tendent à donner une image uniforme et banale des communes (alors que ces dernières aspirent à une singularité). Si toutefois quelques projets de Zones d’Aménagements Concertés sont distingués dans l’agglomération rennaise, ils ne parviennent pas à introduire l’urbanisation contemporaine dans les paysages perçus par les habitants enquêtés.

Aussi, les paysages urbains restent liés à l’architecture patrimoniale et à la morphologie urbaine des centres anciens.

Entrée d'agglomération d'une commune couronne de grand pôle urbain - Fig. : Les éléments, juxtaposés plutôt qu’en relation, procèdent d’une banalisation du paysage. (Messac)

Pourtant, les espaces résidentiels périurbains sont appréciés pour l’ambiance de quiétude, de retrait, de « campagne » qu’ils représentent encore ; avant leur fonctionnalité ou leur offre d’activités (note). Ce sont les éléments qui marquent la naturalité et la ruralité que leurs habitants retiennent pour parler des paysages de leur territoire.

Ces représentations sociales méconnaissent l’environnement urbain proche et détournent du territoire en développement .

Quelques individus interrogent le sens de cette méconnaissance dans le projet de développement territorial, d’autres estiment que les constructions humaines doivent être valorisées pour faire paysage.

« Comment on arrive à préserver le paysage, sa beauté, et parfois son utilité, et à faire que la vie de l’homme puisse se développer ? Ça, c’est un vrai sujet. (…) Est-ce que ça détruit, ça abime le paysage ? Je ne le crois pas. (…) Ça peut être beau et pas simplement utile. » Pays de Rennes

Mais la plupart des élus rencontrés s’inquiètent plutôt de développer les paysages « de nature ». Aussi, les actions paysagères rapportées visent principalement à envelopper de végétation les objets urbains et à favoriser l’accès aux milieux agro-naturels ou naturels.

Des infrastructures discutées au motif des paysages

Les grandes infrastructures constituent un autre déclencheur de la fragilisation des paysages. Rares sont les interlocuteurs interviewés qui en parlent en termes de paysage. Cependant, certains se préoccupent de leur impact sur le paysage. Ils évoquent diverses infrastructures ou grands ouvrages (éoliennes, ligne LGV, lignes électriques THT, autres) ; en fonction de l’actualité des projets concernant leur territoire. Ces infrastructures transforment l’environnement de manière imposante, du fait de leur taille. Plusieurs leur confèrent une certaine esthétique. Un élu va au-delà et les compare aux grandes constructions qui racontent, dans le paysage, l’époque militaire, religieuse puis industrielle ; il anticipe une époque énergétique. D’autres estiment qu’elles contrarient, en ne le prenant pas en compte, le paysage existant (tant physique que perçu). Certains décrivent ainsi le tracé de voies de communication comme « une saignée, une blessure dans le paysage », bien qu’ils reconnaissent leur nécessité.

« Vous avez ces grands axes routiers qui sont une chance pour nous en Ille-et-Vilaine, mais en même temps, toutes ces routes départementales qui ont été faites sont comme des tranchées dans les paysages. (…) Elles sont efficaces, c’est l’avantage. » Elu communautaire du Pays de Rennes

Mises en avant durant les Trente Glorieuses comme un signe de modernité ou de développement économique, ces grandes infrastructures semblent aujourd’hui devoir être cachées, voire effacées.

« On a aussi le symbole de la modernité, le château d’eau qui est quand même là aussi pour permettre à chacun d’accéder à l’eau en continu, au robinet. La modernité, c’est aussi les fils électriques, qui sont là pour faire en sorte que tout le monde puisse accéder à l’éclairage tous les jours. » Acteur économique

Aujourd’hui, l’abondante végétation qui borde trop souvent ces voies de communication cache le paysage environnant. Les voies rapides sont fréquemment opposées aux « anciennes routes » qui, elles, donnaient à voir le paysage environnant.

« Il faut vraiment déployer des efforts pour savoir que si on sort de cette 2x2 voies, on va trouver des choses vraiment formidables… qu’on essaie de promouvoir et de raccrocher au territoire. » Acteur économique

Aussi, plusieurs personnes interviewées observent que l’on tend à implanter ces infrastructures à distance des espaces de vie (de zones d’habitations ou d’activités denses) ; en empiétant sur les espaces agricoles, agro-naturels ou forestiers. Aussi, elles dénoncent qu’au prétexte des paysages l’on fragilise des continuités écologiques.

Des infrastructures discutés concernant leur impact sur le paysage - Fig. : Eoliennes à Taillis

Du seul fait de leur taille, les projets de parcs éoliens sont particulièrement observés sous l’angle paysager. Malgré le « caractère remédiable » des éoliennes et l’intérêt pour la production d’énergie propre, plusieurs interviewés trouvent insensé que des sites du département dont le caractère remarquable des paysages est connu (comme la baie du Mont Saint-Michel, Les Corbinières, ou les landes de Caujoux à Saint-Just), puissent être menacés, au prétexte de leur bonne exposition.

« Au niveau des éoliennes du Mont-Saint-Michel… moi je fuis, parce que même se poser la question. (…) On est fou, les hommes sont complétement fous. Vous avez un site comme ça, vous posez la question de savoir si vous allez… » Elu communautaire du Pays de Vitré

Si les grands ouvrages hydrauliques ont eu également une incidence forte sur l’écosystème environnant au moment de leur réalisation, ils apparaissent comme une exception parmi les grandes infrastructures. En effet, leur proximité est valorisée ; parce qu’ils découvrent de larges étendues d’eau, élément majeur du paysage brétillien.

« Ça a été construit par l’homme il y a 200 ans, mais effectivement ça a un impact très fort aujourd’hui. A l’époque, ils ont osé taper dans le paysage pour créer quelque chose de conséquent, et qui est très prisé, très apprécié aujourd’hui. Donc, les paysages peuvent évoluer, si on a ce regard… ils l’avaient peut-être à l’époque, d’intégration paysagère des choses, l’impact sur l’environnement. » Elu communautaire du Pays de Saint-Malo

Le canal d’Ille-et-Rance (note) est aujourd’hui regardé comme un paysage remarquable et emblématique de l’Ille-et-Vilaine ; ayant une forte valeur affective et pratique, liée aux loisirs. Les barrages du département et les réserves d’eau potable pour l’approvisionnement de la ville de Rennes sont cités comme des paysages par les élus des territoires concernés. Plusieurs regrettent d’ailleurs que les paysages des réserves d’eau qui traversent leur commune ne soient pas accessibles à leurs habitants.

« Il faut aussi que le ludique soit présent, et qu’on ne dise pas, parce que c’est une réserve d’eau, elle n’est pas accessible aux gens. » Elu communautaire du Pays de Rennes

Il semble évident que les grandes infrastructures se confrontent au paysage. Ce qui l’est moins, c’est qu’au titre des paysages, elles puissent être remises en question alors qu’elles répondent à des enjeux économiques et/ou énergétiques.

Aussi, c’est souvent dans le registre passionnel que se confrontent des points de vue. Le paysage est là réduit à sa composante appréciative par ses protagonistes.

« Moi j’adore les éoliennes. Ça ne me dérange pas du tout d’avoir des éoliennes, y compris auprès du Mont Saint-Michel. Je trouve que ça habille le paysage en plus. Mais il faut que ça soit bien conçu, qu’on n’en ait pas une par ci par là, mais qu’on ait des zones. (…) De voir quelque chose qui tourne dans le paysage qui est statique, ça l’anime. » Elu communautaire du Pays de Vitré