La considération du paysage en tant que patrimoine conduit à le protéger en tant qu’objet. Aussi, les élus et les techniciens retiennent le cadre du patrimoine ancien, bâti ou naturel, pour légiférer. Cependant, les importantes transformations de l’environnement liée au développement périurbain et l’évolution des représentations liées à la mobilité de leurs observateurs interrogent la création de nouveaux paysages.
Des mesures de protections et la valorisation de paysages
Le cadre législatif impose aujourd’hui la considération des paysages dans la réflexion et les projets d’urbanisme (note). Le PLU et le SCoT sont les principaux documents de planification qui, à l’échelle locale, traitent de l’état des lieux du paysage et de projets de développement qui en tiennent compte. Néanmoins, les élus rencontrés abordent peu les paysages à partir de ces documents, en dehors de ceux qui sont dans l’actualité de leur élaboration. Ces derniers considèrent des dispositions, qu’ils estiment originales, de préservation de cadres ou d’objets de paysage. La plupart parlent de vues paysagères repérées, de projets de chemins pour faire le tour du bourg à pied et « profiter des vues sur la campagne environnante ».
D’autres retiennent des éléments remarquables à conserver qu’ils ont répertoriés dans le cadre du PLU (arbres, berges de rivière). Alors que la plupart des communes ont développé leur agglomération de façon circulaire à partir du centre, quelques-unes ont fait le choix de secteurs de développement de l’agglomération en retrait pour conserver une silhouette de bourg. Un élu souhaiterait au-delà de son agglomération de préserver des sites paysagers en tant que tel, il parle d’empêcher des constructions sur les crêtes dans des paysages vallonnés.
« Cette (prochaine) zone urbaine va venir gâcher un peu l’entrée de bourg. Parce que pour l’instant, on ne voyait rien, on arrivait sur le clocher sans avoir vu de maison quasiment. » Elu communautaire du Pays de Vitré Le traitement et les orientations des PLU et des SCoT (note) en matière de paysage diffèrent selon les Pays.
Ces traitements différenciés dans les documents de planification et de réglementation de l’urbanisme entretiennent l’idée d’une subjectivité du paysage.
Beaucoup confondent les mesures et actions en matière de paysage avec celles liées à la préservation du patrimoine naturel (Loi littoral, Site classé, Espace Naturel Sensible) et à la qualité écologique (Breizh Bocage). Ils se sentent plus à l’aise à parler d’objectifs, de moyens, d’actions, et d’évaluation concernant cette dernière. Presque tous les élus rencontrés s’attardent à détailler le programme Breizh Bocage. Bien qu’elles prennent en compte le paysage, les mesures de protection du patrimoine bâti remarquable et de ses abords (Abord de Monuments Historique, Périmètre de Protection Modifié, Secteur Sauvegardé, AVAP) sont moins évoquées. Certains parlent de labels (petite cité de caractère, village étape) qui concourent à une attention particulière à la préservation de leur paysage.
La préservation du paysage reste envisagée comme la mise sous cloche du patrimoine bâti et naturel ancien.
Ce patrimoine dès lors qu’il est reconnu tend à être détaché de l’éco-socio-système dont il participe. Alors, sa préservation constitue un coût important, que prend en charge, la plupart du temps, la collectivité.
« L’éco-centre de la Topinais. (…) C’était le site de la Prévalaye qui était une des plus grosses seigneuries de Rennes, qui marchait en circuit court, qui serait très moderne aujourd’hui, qui aurait des revenus extraordinaires, puisqu’ils livraient tous les jours le lait, il y a le beurre de la Prévalaye, les poulets, les fagots pour les laveuses, le bois de chauffage, le cidre, tout était délivré. (…) Aujourd’hui, on a un éco-centre, des charges, et aucun revenu. » Acteur environnementaliste
La plus-value liée au paysage est rarement estimée (ou même associée au paysage). Aussi, la plupart des acteurs rencontrés considèrent le paysage comme le résultat de l’activité humaine et n’envisagent sa pérennité qu’à cette condition. Aussi, ils s’inquiètent de rapprocher les paysages d’une fonction particulière.
« C’est une économie de résister à l’économie, ça peut le devenir si on le prend bien. Mais voilà, la facilité, l’homme aime bien la facilité. Nous, les premiers ! (…) On pourrait avoir une certaine prospérité sur l’entretien de certains paysages et avoir des plus-values énormes. (…) Je pense qu’on peut très bien avoir une prospérité sur le tourisme, et on est encore reconnu avec des qualités. » Elu communautaire du Pays de Vitré
« Le paysage doit répondre à un besoin fonctionnel. Sinon, il va s’opposer à l’homme d’une certaine manière. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande Au-delà de la qualité du cadre de vie, ils retiennent la valorisation des paysages à travers les pratiques de loisirs et de tourisme (note). Aussi, ils considèrent, comme pour les autres activités, des zones de paysage.
Des paysages comme distinction des territoires
Le paysage est attaché à la qualité du cadre de vie (note). Les paysages de nature renvoient à une qualité écologique perçue de l’environnement immédiat (note). Ils constituent une nouvelle attractivité des territoires dans une société de mobilité. Les paysages participent de la revendication identitaire à l’échelle de micro-territoire au sein du département. Des élus et des acteurs économiques mettent en avant des produits locaux, un terroir, une qualité d’environnement qu’ils lient à leur territoire.
« C’est un contexte utile dans lequel les élus s’efforcent de recréer une identité, un environnement. Je pense que c’est une chance de savoir garder une identité basée sur le paysage, parce que ça vous donne une force, et ça façonne les hommes. » Elu communautaire du Pays de Rennes
La plupart soulignent aussi les objets du paysage qui distinguent leur territoire (nature du sol, couleurs, flore, édifices, etc.). Ils marquent, parfois par des aménagements spécifiques (portes, rond-point), les limites de ces territoires. Ils communiquent cette nouvelle culture de paysage, à travers les médias de communication des collectivités. Si les paysages de l’Ille-et-Vilaine ne sont pas caractérisés par la prédominance de leur composante identitaire, leurs observateurs apprécient de les rapprocher de lieux et d’histoires particulières. Ce regard distingue en particulier les plus jeunes et les plus modestes d’entre eux, parmi les personnes enquêtées. Rares sont les personnes interviewées qui considèrent que ces distinctions territoriales n’ont plus lieu d’être ; elles sont, elles, particulièrement mobiles dans leur activité professionnelle.
« Cette photo, la chapelle de Notre Dame du Gué, à Guipry nous paraît illustrer le paysage et le patrimoine du pays des Vallons-de-Vilaine. Nous avons retenu ce cliché comme affiche de notre exposition photos intitulée Sans Dessus Dessous dans le cadre d’un projet scolaire européenne. » Un groupe de collégiens de 11 à 14 ans de Bain-de-Bretagne
L’analyse sociologique des « regards sur les paysages de l’Ille-et-Vilaine » retient la distinction des paysages selon les caractéristiques socio-économiques et culturelles de leurs observateurs. Cette distinction tend à s’accentuer aussi du fait des mobilités quotidiennes (note).
Au cours des deux dernières décennies, les communes les plus proches des pôles urbains ont pas ou peu maîtrisé leur développement urbain, l’étalement de leur agglomération et la multiplication des voies de communication qui les traversent. Fortement marqué par la périurbanisation, cet environnement n’est pas considéré en termes de paysages par ses habitants qui tendent à se replier sur leur demeure ou à s’éloigner de leur lieu de résidence pour profiter de paysages dans le cadre de loisirs.
« Entre une rivière, la voie SNCF et la route, un paysage a été déchiré entre des activités humaines ; qui avaient toutes leur utilité ! » Elu communautaire du Pays de Rennes
Les communes plus éloignées, qui ont souvent déjà été épargnées par les infrastructures liées au développement économique, sont moins concernées par le développement démographique. Elle conserve un caractère, et un paysage, rural ; recherché pour un cadre de vie à la campagne. Ainsi, à l’échelle de l’Ille-et-Vilaine, la qualité des paysages apparaît selon un gradient de périurbanisation à partir de la périphérie du pôle urbain. Le cadre paysager, tel qu’il est perçu par les Brétilliens enquêtés, nécessite de s’éloigner des lieux d’activités, et donc une autonomie en termes de moyens de transports. Aussi, il n’est pas accessible à une partie de la population ; aux plus modestes, mais aussi souvent aux plus jeunes et aux plus âgés. Ceux-ci se concentrent dans et autour des grands pôles urbains.
« Une personne qui vient chez nous doit s’attendre à avoir un véhicule qui fait la navette pour amener les enfants un peu partout les mercredis, les samedis. Donc avoir les moyens, ça veut dire avoir un certain revenu, qui leur permet de faire leur maison de rêve. Alors que beaucoup de petits villages aujourd’hui sont partis dans la quantité. Moi je suis plutôt dans un développement qualitatif ; en équilibre avec notre environnement, nos services publics, nos écoles, avec la configuration de notre village. » Elu communautaire du Pays de Saint-Malo
Plusieurs élus estiment par contre qu’aujourd’hui, au vu de l’importance de leur développement, les communes des premières couronnes de grand pôle, sont les plus à même d’imposer des règles en matière de paysage, aux entreprises et particuliers qui souhaitent s’y installer.
« On n’a pas beaucoup de services, mais ils ne veulent pas que ça s’agrandisse. Il ne faut pas construire. Ils sont un peu égoïstes quand même ! Parce que c’est vrai que quand ça grossit ce n’est plus la même vie. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande Aussi, les territoires du département n’apparaissent pas tous égaux concernant l’existant et la gestion des paysages.
Du fait de la poursuite de l’étalement urbain lié à la périurbanisation et du développement d’une agriculture de grandes cultures (note), beaucoup observent l’uniformisation de leur environnement. Certains s’inquiètent de la raréfaction de sa diversité.
« La diversité va être en timbre poste, toute petite. Comme la ville de Rennes, bien sûr elle aura son petit coin avec sa ruche, avec ses machins, mais tout ça, ça va être microscopique. Et le reste va être très uniformisé. » Elu communautaire du Pays de Vitré
Aussi, la plupart des enquêtés s’attachent aux paysages existants. Les paysages, de par leur composition (note), garantissent le maintien de la biodiversité.
Les paysages émanent ainsi d’un patrimoine ancien que habitants et décideurs semblent vouloir figés, malgré le développement et les dynamiques du territoire départemental.
La création de nouveaux paysages
La « culture du paysage » est née avec le développement du tourisme. Bouleversant les usages sédentaires, il a imposé des paysages distinguant des lieux par leurs valeurs d’usages, et par leur histoire, réelle ou imaginaire. Alors que la villégiature, imitant les migrations rituelles saisonnières d’une partie de l’élite durant la seconde partie du XIXème siècle, perdurent, le tourisme culturel puis le tourisme rural se développent dans les années 50 et 60. L’attrait de la campagne à partir des années 70 se conjugue avec la « mise en scène de l’authenticité » à la fin des années 1990.
« On essaie d’organiser, de mettre en scène le territoire pour qu’il soit le plus sollicité possible par les touristes et les habitants. » Acteur économique
Les acteurs du tourisme rencontrés expliquent que le tourisme de l’Ille-et-Vilaine est particulier au sein de la région bretonne. Le littoral est petit, il y a peu de camping et plus d’hôtellerie, une importante part de la clientèle vient du bassin rennais. Le développement touristique récent est lié aux courts séjours, puis au tourisme d’affaires. Les principaux sites touristiques cités par les touristes sont ceux qui sont repérés comme paysages de l’Ille-et-Vilaine par les acteurs et habitants rencontrés : « Saint-Malo, Baie du Mont Saint-Michel, Rennes (qui est la première ville bretonne de tourisme d’affaire), et Brocéliande ».
« Vous savez les gens quand ils viennent en Ille et Vilaine, ils viennent d’abord sur le littoral et ils viennent à Brocéliande parce qu’avec toutes les légendes, avec tout ça et les paysages liés aux légendes tout de même, c’est vraiment ce qui est le plus vendeur, plus Rennes bien évidemment quand même. » Acteur sports plein-air
Les équipements touristiques implantés le long de la route de Rennes à Saint-Malo, mais aussi souvent dans des cadres paysagers particuliers, sont les plus fréquentés : Cobac Parc à Lanhélin, le Grand Aquarium à Saint Malo, le château et parc de la Bourbansais, et le château de Caradeuc à Bécherel. Parmi les équipements culturels, 16 châteaux sont ouverts au public.
« On a pas beaucoup de sites de loisirs qui soient totalement déconnectés du paysage ou de l’histoire. » Acteur économique
Les acteurs du tourisme rencontrés s’intéressent à de nouveaux débouchés, afin de diversifier l’offre touristique, inciter à de plus longs séjours et désengorger les sites les plus fréquentés. Le développement du tourisme rural et du tourisme vert, de même que l’importance des aménités dans le choix du lieu de résidence, poussent les collectivités à mettre en valeur leur patrimoine, bâti ou naturel.
« Pour moi le paysage c’est un mot, un vrai mot une richesse. Pour nous, c’est vachement important, parce qu’on veut préserver. Nos territoires, surtout dans la Baie du Mont Saint-Michel, ou la vallée de la Rance, nos territoires vont devenir de vraies destinations économiques, touristiques, plus touristiques, à condition qu’on ait un environnement de grande qualité. » Elu communautaire du Pays de Saint-Malo
« On a besoin de faire du business avec la nature. » Elu communautaire du Pays de Redon
Ils considèrent le potentiel de leur territoire. Le département inventorie près de 1100 châteaux, manoirs, et fermes fortifiées. Les élus soulignent que nombre de ces bâtiments anciens sont rachetés et réhabilités par les collectivités qui y accueillent du public, pour des services administratifs ou en tant qu’espace socioculturel, culturel ou touristique (maison touristique, musée, …).
« La construction d’une malouinière, il n’y a pas d’effets architecturaux et pour autant ça fait partie du patrimoine bâti avec ces grosses forteresses comme Vitré, comme Fougères, comme Saint-Aubin-du- Cormier. » Acteur tourisme
Des territoires touristiques se regroupent dans ce sens, à l’image des grands pays d’accueil touristique du département ou de communauté de communes qui prennent en charge la compétence tourisme. De nouveaux parcours et circuits traversent plusieurs communes. Le paysage de bocage, prédominant en Ille-et-Vilaine (déjà dans le cadre de l’enquête départementale Portrait de l’Ille-et-Vilaine), devient le lieu du retrait, du vert, de la nature et de la douceur.
« Un paysage de bocage je ne suis pas sûre que lui seul suffira à convaincre les gens de venir passer des vacances, un petit séjour, un grand séjour dans le département. Donc on le vend « avec » mais on ne le vend pas seul. (…) Il faut créer l’envie à travers d’autres sites pour pouvoir les amener sur cette douceur, sur ces paysages paisibles, tranquilles. » Acteur économique
La préservation et la valorisation des paysages constituent un enjeu économique pour l’Ille-et-Vilaine. Il s’agit autant de diversifier l’offre touristique que d’assurer l’équilibre territorial du développement économique.
Ces regroupements permettent également de mutualiser les moyens, en particulier la communication, dans une offre mondialisée. Les paysages du tourisme émergeant en Ille-et-Vilaine s’appuient sur la proximité, liée à leur caractère familier et à leur dimension humaine. Le caractère familier émane de la transmission de la culture et de l’histoire locale. Aussi, les guides d’interprétation (documents, expositions) se multiplient, de même que les animations et manifestations remettant au goût du jour des traditions en lien avec le patrimoine local (excursions thématiques, fêtes, foires).
« Cette maison de Brocéliande (…) un centre qui va permettre d’interpréter à la fois les paysages, les sites légendaires et donc, préparer les gens à la découverte de cette forêt. » Acteur économique
La dimension humaine est soulignée par la mise en action du touriste dans l’écriture du paysage. Actif, il parcourt, recherche, découvre, guidé par des circuits balisés (note). Aujourd’hui se développe le géocaching qui incite à se concentrer sur un objet à trouver, et ainsi ne pas craindre de se perdre à explorer des trésors plus profonds.
« Toujours mettre en scène des personnages pour humaniser les paysage (…) une image sera plus forte si on y ajoute de l’humain, pour que les gens puissent se projeter » Acteur économique
« Mis en place pour inciter les gens à aller sur le territoire (…) créé avec les Offices de Tourisme des caches qui sont géolocalisées, avec des fiches descriptives, avec des indices (…) avec un GPS (…) à la découverte du territoire, de son patrimoine, de ses richesses à travers une chasse au trésor. (…) « Les aventures dont vous êtes le héros », 50 trésors (…) C’est un petit porte clé, c’est… c’est une dragone, c’est une boussole qui marche tant bien que mal… enfin bon. » Acteur économique
L’état contemplatif semble relayé, comme s’il ne suffisait plus à prendre conscience d’être dans un espace et un temps particulier. Pourtant, il est souvent important dans les expériences personnelles que les interviewés racontent. La chorégraphe rencontrée trouve intéressant la mise en scène en extérieur, où l’attention éveillée du spectateur lui donne à éprouver tous ses sens dans le « décor animé » qui l’entoure, et à ressentir sa présence au lieu, au-delà de (ou avec) l’œuvre artistique.
« C’est pas pareil si on est assis dans l’herbe (…). ça a un rapport au réel qui va s’imposer. L’écart entre une bande son et ce qui ce qui serait dit « le silence » et bien forcément c’est une dimension encore supplémentaire ; lorsqu’elle s’arrête c’est pas le silence où c’est un silence habité : des chants d’oiseaux, du vent, … » Acteur culturel
Les arts continuent d’interroger et de mettre en lumière notre rapport à notre environnement. Les arts plastiques, notamment à travers le land art, révèlent la composition de paysages dans l’opposition entre des tracés et objets géométriques et des désordres de la nature.
Le paysage en tant qu’espace scénarisé intéresse au-delà de la peinture, diverses disciplines artistiques. Le spectacle vivant dans l’espace public confronte l’artiste et l’œuvre dans un espace qui n’est pas neutre, comme l’est la scène noire du théâtre. Au-delà de faciliter l’accès à l’œuvre artistique, il déstructure l’approche fonctionnelle de l’espace et interpelle le spectateur- acteur de ses paysages.
Ces manifestations culturelles sont appréciées par quelques collectivités parce qu’ils permettent la promotion de leur territoire de façon originale. Elles sont aussi vectrices d’une lecture d’un environnement contemporain en mutation.