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Une thématique insuffisamment mobilisatrice

L’expertise et l’analyse paysagère ne considèrent pas suffisamment la complexité des paysages. Trop souvent réduites à leur dimension environnementale, leur intérêt s’en trouve réduit. L’action paysagère se confond avec l’action environnementale dont les enjeux et les champs d’action sont connus et reconnus, contrairement à ceux des paysages. Aussi, la question paysagère est reléguée au second plan.

Le flou sur la notion de paysage

Invitant différents acteurs à décrire les paysages de l’Ille-et-Vilaine, la plupart posent très rapidement la question de ce que nous entendons par paysage.

« Un Atlas des paysages pour quoi faire ? (…) Je ne vois pas quelle définition on donne du paysage. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande

Cette notion leur semble floue alors que le paysage apparaît clairement dans la description qui en est faite par chaque individu rencontré (note). Les élus et techniciens sont pourtant amenés, par le cadre législatif notamment, à réfléchir aux actions d’aménagement en termes de paysage.

L’article L.123-1-5 7° du code de l’urbanisme indique que le règlement du PLU qui définit les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols à l’échelle des communes ou communautés de communes peut « identifier et localiser les éléments de paysage (…) à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou écologique et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur protection. ».

Le caractère paysager doit être justifié dans le rapport de présentation, il peut donner lieu à des prescriptions dans le document d’urbanisme. Seul un technicien interviewé, environnementaliste, en fait mention. Pourtant la plupart des communes du département ont aujourd’hui un PLU. Les élus estiment que le caractère paysager est difficile à définir. Plusieurs considèrent également le paysage est une notion technique et peu accessible. L’expertise des paysagistes leur semble souvent peu éclairante. Plusieurs la résument à l’aménagement d’espaces verts.

« Le paysage c’est très difficile, vous travaillez avec quelqu’un où on inculque une idée de l’entrée paysagère, je peux vous dire que j’ai eu d’autres contacts d’urbanistes où on m’a dit que c’est nul, affreux votre affaire. Je crois que chaque urbaniste et paysagiste a sa vision qui n’est pas forcément identique au voisin, c’est pour ça que c’est très difficile. » Elu communautaire du Pays de Fougères

Le cadre législatif urbanistique français renvoie à la définition du paysage par la Convention Européenne des Paysages de 2000 (note). Peu des acteurs rencontrés s’y réfèrent.

Cette définition est exposée et développée en introduction de la présentation des premiers résultats de l’analyse pour l’élaboration du présent atlas (note). Les élus et techniciens de chacun des Pays Brétilliens apprécient qu’elle éclaire la distinction entre paysage et environnement. Ils comprennent mieux aussi la considération des habitants, en tant qu’observateurs, dans l’analyse des paysages de l’Ille-et-Vilaine.

« Ce qui est important c’est que le paysage soit compris. (…) A partir du moment où on vous apprend le paysage, la lecture vous est simple et du coup, le paysage vous paraît agréable. » Atelier Enjeux de paysage (Pays de Brocéliande)

Plusieurs questionnent la perception des habitants du cadre environnemental de leur habitat ou des actions et politiques de préservation de paysages.

« Est-ce que le paysage en regardant par la fenêtre de leur cuisine c’est quelque chose de très important ou ils considèrent le paysage simplement quand ils vont aller faire un footing en forêt de Corbillières ? » Elu communautaire du Pays de Vitré

« Est-ce qu’il y a eu des gens qui se sont prononcés sur les éoliennes, l’impact des éoliennes sur les paysages ? Je sais que ça a été un débat sur la baie du Mont Saint-Michel qui a donné lieu à l’abandon d’un projet, donc ce n’est pas rien. Est-ce que c’est ressenti dans vos débats, dans vos entretiens ? » Elu communautaire du Pays de Saint-Malo

Si les participants s’intéressaient au préalable aux composantes spatiales des paysages, peu d’entre eux avaient envisagé les représentations sociales comme déterminant des paysages. Ils ont encore du mal à considérer leurs actions sur ces représentations. Le flou de la notion de paysage impacte sur la lecture des champs d’action qui s’y rapportent.

La complexité effective des paysages

Le paysage participe d’une construction complexe ; au cadre environnemental s’ajoutent les dimensions fonctionnelles et normatives des représentations sociales.

« (…) des éoliennes disséminées, égarées, là ça n’a pas de sens, et ce n’est plus possible. Par contre, quand à un endroit vous avez un champ d’éoliennes, d’abord c’est comme des sculptures, ça peut être très beau, c’est comme les moulins à vent autrefois. Je trouve que ça contribue à faire un paysage, un paysage humain au sens où c’est l’homme qui l’a construit. Ça peut être beau et pas simplement utile. » Elu communautaire du Pays de Rennes

Dès lors qu’un environnement nous parle, fait sens, parce qu’il nous rapproche d’expériences vécus et d’histoires connues, parce qu’il nous renvoie à des paysages ressemblants, nous sommes en présence de paysages. L’observateur est ainsi au centre de la définition du paysage ; c’est lui qui le construit, par le sens qu’il donne à l’environnement qui l’entoure (note).

« Ce paysage, je le fais mien parce que le matin, le soir, je le vois. C’est mon paysage et ma représentation de mon paysage. Ce n’est pas celle de quelqu’un d’autre. » Elu communautaire du Pays de Brocéliande

Lors des entretiens, les élus font état de leur méconnaissance des paysages tels qu’ils sont perçus par les habitants des territoires qu’ils représentent. Aussi, ils préfèrent parler de sensations et de sentiments personnels et insistent sur la particularité de leur regard. Interpelés dans le cadre de leurs fonctions sur l’incidence de projets de développement sur les paysages, certains insistent sur la subjectivité de cette notion, qu’ils réduisent sans scrupule à une question esthétique.

« Certains considèrent qu’une éolienne c’est aussi joli et d’autres la classent comme une ligne à haute tension, un poteau téléphonique, tout ce que vous pouvez avoir qui vient perturber un paysage. » Elu communautaire du Pays de Rennes

En effet, les paysages du département sont souvent qualifiés de « beau », « joli », mais aussi de « agréable », « sauvage », etc. (note). A l’exposé des premiers résultats de l’analyse sociologique, plusieurs techniciens sont gênés que le paysage renvoie à une vision positive de l’environnement, dans un contexte où celui-ci leur apparaît fragilisé. Ils interrogent la manière de rendre ainsi compte de ce qui nous gène, de ce que l’on ne veut pas voir, et des enjeux de paysages. Qui est ce « on » ? Ici, il ne s’agit pas tant des limites de l’approche paysagère (ces informations apparaissent soustraction (note) ), que de comprendre les déterminants et prendre en compte des regards différenciés sur notre environnement.

« En vieillissant, on devient de plus en plus sensibilisé à ces choses-là. (…) Je suis beaucoup plus près de la nature que je ne l’ai été parce que j’estime qu’il a été fait des bêtises ne serait-ce que dans les remembrements. On peut très bien faire un regroupement sans effacer tout, et après on dessine. » Elu communautaire du Pays de Fougères

Aussi, l’évolution du paysage participe autant des changements de l’environnement que de l’évolution de nos propres regards.

Le paysage, enjeu secondaire de territoires en développement

La construction du paysage n’apparaît pas comme une fin en soi. Pour la plupart des personnes rencontrées, elle est plus le résultat d’une action, celle de l’homme, sur leur environnement. Quelques-uns même, estimant que le paysage n’est que nature, considère que sa qualité émane de l’absence de l’intervention de l’homme. Les élus et les autres acteurs mettent en avant l’atteinte aux milieux et aux éléments de nature dont on mesure aujourd’hui l’impact irrémédiable sur l’écosystème. L’atteinte aux paysages, elle, semble pouvoir être « corrigée », « réparée », « compensée ». Là, le paysage est assimilé à son artificialité, même pour parler de ses objets de nature. La plupart considèrent qu’on a aujourd’hui les moyens techniques de tout (re)construire.

« Dans le cadre de l'aménagement de la zone d'activités, on les (les arbres) coupait, par contre, il fallait qu'on replante en compensation quatre fois la surface qui a été plantée. Donc, on va vers la reconquête du paysage, enfin, tout au moins des arbres. Et puis des arbres de qualité, parce qu'on nous imposait des espèces particulières. » Elu communautaire du Pays des Vallons de Vilaine

Aussi, les élus interviewés soulignent les actions de préservation et de réhabilitation engagées pour la qualité de l’eau, la continuité écologique, ou la gestion du bocage, par la collectivité. Participant de la reconstitution d’un paysage de nature (c'est-à-dire où les éléments de nature prédominent), ces actions se confondent avec l’action paysagère, voire la supplante.

Ici, le paysage découle, et rend compte, de la politique environnementale des collectivités.

Certains admettent que la réflexion et l’action paysagère, imposée par le cadre législatif en matière d’urbanisme en particulier, est une contrainte ; représentant un coût pour une finalité qui n’est pas entendue par la plupart.

« La finalité, c’est quoi ? C’est d’avoir de l’eau propre, être capable de s’alimenter, être capable d‘avoir une ville vivable, mais aussi diversifiée. » Elu communautaire du Pays de Vitré

L’application des recommandations qui peuvent être faite en matière de paysage sur le terrain est soumise aux pratiques des chefs d’exploitation, à l’acceptation par les entreprises des zones d’activités, ou aux priorités des constructeurs immobiliers. Les élus observent qu’elle est très difficile.

« On y est plus ou moins sensible, mais il y a quelquefois des enjeux économiques, d’autres enjeux qui nous dépassent largement par rapport à la qualité paysagère. Et il y a des problèmes de coûts, même si en y réfléchissant, on peut faire des choses à moindre coût en y ayant pensé. » Elu communautaire du Pays des Vallons-de-Vilaine

Les enjeux du paysage de l’Ille-et-Vilaine ne sont pas perçus. Les acteurs rencontrés reconnaissent que les préoccupations économiques et environnementales sont priorisées.

« C’est vrai qu’on n’a pas un discours sur le paysage, ce n’est pas notre discours habituel ; on parle d’agriculture, d’agronomie, de lutte, enfin… nous, on parle plutôt d’environnement. » Acteur économique

« On se sert de l’argument de paysage, parce qu’il est difficile de le contre-argumenter. (…) Si on avait des compensations financières plus importantes, les gens ne diraient pas non, et le paysage ne serait plus un argument. » Elu communautaire du Pays de Rennes

Du fait de la valeur attribuée par les Brétilliens aux paysages agro-naturels, les communes rurales, les plus éloignées des enjeux urbains, estiment préserver un cadre de vie champêtre et être peu concernées par les préoccupations paysagères. Quelques élus de communes couronnes du pôle urbain de Rennes admettent, eux, que leurs communes, ayant déjà connu un fort développement économique et démographique, sont plus en mesure d’imposer des conditions paysagères à l’implantation de nouvelles zones d’entreprises ou d’habitats.

« Quand on a des préoccupations économiques et qu’on a des enfants, tout ce qui est paysage, environnement, ça vient après. On en a rien à foutre et c’est normal. C’est dommage, mais je peux le comprendre quoi. » Elu communautaire du Pays de Fougères

Plutôt qu’une distinction par type de commune, plusieurs élus préfèrent parler, en matière de paysage, d’une sensibilité et d’une action fonction de la personnalité des élus. Le paysage est encore considéré en opposition avec le développement (note). La préoccupation paysagère passe après les enjeux économiques et démographiques des territoires.

Même si des élus communautaires de chacune des 29 communautés de communes et 17 autres acteurs des paysages de domaines variés ont accepté d’être interviewés (note), le faible nombre de questionnaires retournés et la faible participation aux ateliers « Enjeux de paysages » par Pays qui invitaient les élus, techniciens des collectivités et autres acteurs des paysages à découvrir les résultats de l’analyse de terrain des paysages de l’Ille-et-Vilaine, sont aussi représentatifs du moindre intérêt pour la thématique du paysage malgré tout ; et quelle qu’ait été la qualité des données recueillies. Des techniciens, au sein du comité technique ou rencontrés lors des ateliers « Enjeux de Paysage » par Pays, s’inquiètent que la préoccupation paysagère reste secondaire. Plusieurs participants observent l’actualité de la réflexion sur le paysage qui croise celle de différentes réunions auxquelles ils ont récemment participé (valorisation du bois-énergie, plan de gestion du bocage, gestion des bassins versants, SCoT, charte paysage, plus rarement PLU).

Face à l’accélération des changements environnementaux, une lecture collective de notre environnement contemporain leur paraît faire défaut.