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Les implantations en lien avec le socle naturel

Avec la réflexion sur le développement durable, la lutte contre le réchauffement climatique, l’utilisation de l’énergie renouvelable, la question des implantations revient sur le devant de la scène de l’urbanisme. Il en va de même de l’utilisation de ressources locales dans le cadre de déplacements courts, valorisant les savoir-faire. Ces préoccupations d’orientation, d’articulation avec l’espace agro-naturel sont au fondement des implantations des constructions agricoles anciennes isolées dans l’espace rural, des hameaux ou des bourgs. Tous ces objets architecturaux ou urbains ne font pour autant paysage ou ne sont pas des motifs paysagers. 

Bécherel, une « ville-paysage », du fait de son implantation - La ville et le site de son implantation ne sont qu’un même motif dans le paysage. Outre l’image produite dans les vues de l’extérieur, la dimension paysagère est également celle des vues que le site dominant offre sur son environnement.

L’ancrage au lieu : le fait d’un bâti ancien, isolé, attaché à l’économie agricole

Châteaux et manoirs : un motif paysager encore bien présent

Longtemps, l’économie agricole ne pouvait s’entendre sans son corollaire tutélaire, le manoir ou le château, lieu de résidence ou de plaisance du propriétaire foncier. Pour signifier son autorité, l’architecture se double d’une composition paysagère usant de la masse boisée, de l’allée cavalière, la prairie dégagée, la perspective ordonnée. Mur de clôture, bâtiments annexes, grille, rendent présente une architecture souvent peu visible.

Le château de Claye, photographie aérienne -
Géoportail

Le Pertre, château de Bel-Air - La silhouette du château vient ponctuer un point haut, et s’inscrit dans un parc paysager qui ne montre pas de limite avec la campagne environnante.
Le château de Clayes synthétise l’impact paysager possible de beaucoup de châteaux : axes de composition accusé par une haie cavalière ou une prairie bordée de bois, une face ouverte, au sud souvent, des masses boisées pouvant couvrir les arrières, un mur de clôture, des volumes annexes accrochés aux limites. L’ensemble de ces éléments structure le paysage.
Celui de Clayes rappelle aussi le rôle joué dans la constitution des paroisses, l’édification des chapelles et églises.

Le Grand-Fougeray - Façade sud, blanche du château, qui se découpe sur le fond vert sombre du bois et s’ouvre sur une prairie dégagée que la haie basse laisse encore voir. Dans la masse du bois, la route crée une trouée axée sur l’église.

Le bâti isolé agricole : une organisation rationnelle et efficace

Le bâti isolé agricole ancien s’organise à partir de trois facteurs clé, l’orientation par rapport au soleil et aux vents, la topographie, l’accès. L’exposition au sud de la façade principale est une constante forte qu’on retrouve de tous temps, tout comme l’exigence d’une protection contre les vents dominants ou l’humidité. L’implantation à mi-pente ou en fond de vallée non inondable et peu humide sera donc privilégiée. Jusqu’au XIXe siècle, la surface bâtie close, associée au logement était la plus répandue, qu’il s’agisse d’un logis à fonction unique (l’habitat), à un ou deux étages, ou d’un logis à fonctions multiples contiguës ou superposées. Les surfaces exploitées limitées, le peu de matériel, le nombre réduit de têtes de bétail (deux vaches le plus souvent), nécessitaient peu de volumes secondaires. Construits avec des moyens limités, en bois principalement, parfois associés à la terre ou quelques blocs de pierre, ces volumes secondaires ont souvent disparu. Ils participaient à l’organisation d’une aire de service.

Cesson-Sévigné - Cour de ferme, logis exposé au sud.

Coësmes - Lorsque la voie est orientée est-ouest, les exploitations à cour fermée ne donnent à voir que des murs faiblement percés.

Saint-Méloir-des-Ondes - La Durandais, Logis avec façade sud, implantation en pignon sur une voie nord-sud.
Une grange-étable a été adjointe au logis du XVIIe siècle (composé de sa porte, fenêtre et gerbière). Un logis complémentaire a été construit au XIXe siècle, refermant ainsi l’espace autour d’une cour, selon une composition orthogonale.

Bâti agricole dans le paysage - Le bâti privilégie un mode d’implantation attaché au relief. Le regroupement en longère limite les déperditions et les besoins en matériaux.
La façade nord présente peu d’ouvertures, les constructions sont implantées parallèlement aux courbes de niveaux, les appentis sur l’arrière et en pignon ouest protègent des vents et de la pluie. La face nord, en partie enterrée, s’ouvre sur les champs, la façade sud, pleine hauteur, s’ouvre sur le jardin et le verger. Cet espace est cadré par une simple annexe.

Au XIXe siècle, les effets conjugués du souci de productivité associé au développement industriel, celui du machinisme, l’utilisation du chaulage et de l’amendement vont permettre d’accroître les surfaces exploitées et d’augmenter la production agricole. La structure des exploitations antérieures au XIXe siècle va souvent se trouver inadaptée et leur nombre insuffisant. Certaines vont être restructurées, d’autres vont être doublées, à faible distance d’une exploitation complémentaire. On retrouve ainsi souvent la Haute et la Basse, la Grande et la Petite, avec pour chacune d’elle, une organisation en plan différente. L’exploitation du XIXe siècle se distingue par un plan plus ordonné, des volumes bâtis plus importants, la généralisation du modèle de la longère composé de fonctions associées (le logis à fonction multiple superposé est abandonné). Des modèles spécifiques de fermes modèles verront le jour. Les plus célèbres sont les fermes dites « Lariboisière » du nom du propriétaire terrien ayant développé ce modèle pour ses fermiers, notamment sur la commune de Louvigné-du-Désert.

Louvigné-du-Désert, ferme Lariboisière - Cet habitat rural « original » de la fin du XIXe siècle marque les paysages de cette région.

L’habitat groupé en hameau, la position du bâti par rapport à la voie : une logique qui fait paysage

Deux grands modèles sont présents sur le territoire d’Ille-et-Vilaine, le « hameau grappe » et le « hameau rue ». La différence entre les deux tient à la position du bâti par rapport à la voie. Le paysage qui en découle sera très différent.

Le « hameau grappe »

Le bâti s’implante assez directement le long de la voie, sans recul affirmé, et sans clôture. Les longères se présentent avec un pignon sur la voie de desserte, tandis que les façades se développent perpendiculairement, au soleil et à l’abri de la circulation. La formule permet d’optimiser la voie de desserte. Ce modèle rationnel, dynamique et efficace n’a pas été repris dans les aménagements des années passées, évincé par celui de l’implantation au centre d’une parcelle isolée et clôturée… La perspective axée de la voie accentue l’effet de paroi rythmée par la succession des plans des façades des constructions implantées en pignon sur voie. La position des pignons génère un effet « porte » et au hameau une valeur de lieu.

Bruc-sur-Aff - Les longères sont implantées parallèlement à la voie de desserte. Celle-ci est d’orientation est-ouest. L’espace cour, au sud, est bordé par un puits, un four, deux annexes.
Ailleurs, Le corps de bâti principal est en retrait important, ouvert au sud sur la cour ouverte.

Cintré - Malgré la distance entre les longères, l’accumulation des plans successifs, de loin en loin, crée une unité de lieu.

Le « hameau rue »

A la différence du « hameau grappe » qui ne présente pas de différence d’implantation d’une rive à l’autre de la voie de desserte, le « hameau rue » présente une différence notable. Les constructions implantées en rive sud de la voie sont le plus souvent en limite de celle-ci ou en léger recul. Elles forment un front bâti structurant. Les constructions implantées en rive nord de la voie, présentent des retraits plus importants pour ménager un espace privatif entre la voie et la façade sud de la construction. Pour privatiser cet espace, sans avoir recours à la seule clôture, la longère peut être complétée de bâtis en retour, d’annexes, refermant l’espace du jardin ou de la cour.

Saint-Suliac - Les façades ensoleillées s’ouvrent perpendiculairement à la voie. Elles donnent sur une cour qui vient enrichir les échelles de l’espace, intermédiaire entre l’espace public et l’espace privé.

Saint-Suliac - Vue depuis le Mont Gareau.
Un hameau bien groupé vient ponctuer le paysage rural sans mettre en cause sa cohérence ou son ambiance.

Des désordres qui conduisent à classifier le village et le hameau

Classifier les villages (note) et les hameaux (note) est devenu un préalable de tout document d’urbanisme réglementaire, comme le PLU. Cette classification est une réponse au double constat d’une dégradation structurelle et paysagère des hameaux et d’une forte consommation d’espace et d’énergie que représente l’habitat, isolé sur le territoire rural. Les critères les plus utilisés dans le cadre de cette classification sont ceux du nombre de constructions, de leur époque de réalisation et de la présence d’un lieu de vie en commun. Plus petit que le village, composé comme lui d’une majorité de bâtis anciens implantés traditionnellement, le hameau ne présente pas de lieu de vie en commun comme une place, un commerce, un service public. La différence est souvent délicate à établir et relève d’une appréciation des spécificités locales.

Les bourgs : une typologie liée à la topographie

Les bourgs, issus des anciennes paroisses ou de leur division, sont les formes les plus agglomérées de tissu urbain du secteur rural. Socle de l’identité communale, ils ont connu, sauf à quelques exceptions près, une forte mutation de leur paysage. La capacité qu’ils ont aujourd’hui à « faire paysage » tient ainsi au mode d’implantation de la structure initiale dans son site et aux modèles d’expansion qui sont venus s’y greffer.

Vildé la Marine, enrochements des activités ostréicoles - Les « bourgs rue » amplifient l’impact paysager de la digue. L’alignement des maisons donne une échelle au lieu. La topographie ne rend visible que le premier plan, sans qu’il soit possible de lire la structure du bourg, son ampleur.

Pocé-les-Bois, un bourg étagé - L’église, au tiers inférieur du coteau, organise un centre bourg très aéré. Remontant le coteau jusqu’à la limite de la ligne de crête, la nappe pavillonnaire interroge l’identité de bourg rural.

Les bourgs vont occuper des positions topographiques différentes. De celles-ci découleront une identité propre ainsi que des conditions spécifiques de développement. La typologie du bourg sera également définie par la position de l’église dans le site. ainsi que par leur fonction d’origine (port, site défensif…). La typologie dépendra également d’une fonction spécifique, le port ou le site défensif du bourg castral. Le bourg sommital Au sommet d’une colline, il est au minimum perceptible par son clocher qui troue les masses boisées et ponctue le ciel départemental. En raison de la topographie relativement vallonnée du département, ce modèle est très présent. Le bourg se perçoit de loin, en volume, permettant de lire la totalité des phases de construction. Le développement pavillonnaire y est très impactant. Son ampleur y est particulièrement visible, tout comme son uniformité.

Montautour - Du bourg, seule l’église est visible dans le paysage.

Coupe sur Pléchatel - L’église est en point haut. Le développement résidentiel s’est implanté dans un premier temps côté Vilaine, puis récemment, sur le versant opposé.

Saint-Jouan-des-Guérêts - Le bourg sommital n’exige pas de très fort dénivelé. L’église émerge de la ligne de crête. Associée au château qui se dégage en premier plan de la masse boisée et à l’ensemble de longères récentes, elle cadre le motif paysager du bourg densément développé. Celui-ci préserve un pied de coteau agricole qui protège les rives de la Rance.
Les extensions des bourgs de Rance ont fait l’objet d’une attention paysagère et urbaine remarquable. Sur l’autre rive de la voie express, côté Clos Poulet, la maîtrise des développements est bien moindre.

Fougères-Lecousse - La vieille ville est identifiable sur l’éperon rocheux qui domine le Nançon. Les trois lignes de crête, très sensibles, donnent à comprendre la complexité du site d’implantation. Sur le versant ouest, la ville moderne s’est répandue. Les zones d’activité, très présentes dans le paysage de la voie périphérique, impactent peu le modèle paysager du bourg.

Le bourg perché

Déclinaison du modèle sommital, il est attaché à une topographie plus prononcée d’un des versant. L’église est souvent implantée en rive de l’abrupt.

Coupe de Saint-Aubin-du-Cormier - Du fait de sa position, l’église est une apparition dans le paysage. L’abrupt interdit tout développement. Le tissu urbain dense du centre bourg est très lisible sur la ligne d’horizon.

Saint-Aubin-du-Cormier

Saint-Aubin-des-Landes - Le bourg s’est implanté en limite du plateau agricole, sur le rebord d’un vallon abrupt. Côté plateau, le bourg a développé ses espaces urbanisés, ses lotissements. Côté vallon, il se présente sous des abords plus pittoresques.

Le bourg de coteau ou étagé

Sa particularité est d’avoir une église implantée à mi-pente. Il apparaît moins polarisé.

Bruc-sur-Aff - Du haut du plateau, l’église n’est perçue que par la flèche du clocher derrière un premier plan de maisons en bande.

Coupe sur le Mont-Dol - Le bourg s’implante sur l’espace entre le pied de coteau et la limite du marais. Les carrières qui serviront à la construction du bâti libéreront un espace supplémentaire, capitalisé pour augmenter le nombre de construction. L’église, implantée sur une terrasse, comme à Saint-Brolâdre, s’ouvre en balcon sur le marais.

Saint-Ganton - le bourg est étagé sur le coteau ouvert au sud, dominant le ruisseau de la Couarde.
La ligne de crête est encore presque boisée, le fond de vallée est libre de construction.
Le bourg reste associé à l’unité du coteau.

Tremblay - Le bourg occupe un espace en équilibre entre la ligne de crête préservée et arborée et le fond de vallon qui conserve son identité agricole. Toute urbanisation de l’une des deux strates, supérieure ou inférieure, affecterait le motif paysager de ce bourg.

Le bourg de vallée

Son implantation est directement liée à la nature du profil de la vallée et de la distance entre le pied du coteau et la rive de la rivière ou du ruisseau. On retrouve derrière ce vocable des situations assez contrastées.

Pont-Réan - Entre la Vilaine et le coteau, la vallée est assez large pour permettre le développement du bourg.
Le premier plan est sur la rive nord, l’église est sur la rive sud. Les développements récents ont occupé le coteau pour bénéficier de la vue sur la vilaine et le bassin de Rennes. La structure du bourg est plane.

Saint-Senoux - Au creux de la vallée, le bourg apparaît dans le paysage au travers d’une ligne de toits et de son clocher caractéristique. Le regard passe au-dessus et suit les lignes de crêtes de la vallée de la Vilaine.

Le bourg castral

Le bourg castral est un motif particulier dont l’impact paysager tient à sa motivation première, voir et être vu. Il associe ainsi un site et l’architecture défensive d’un château. Très souvent en hauteur, avec des aplombs, des zones humides imposant un retrait et ainsi une vue particulière, le bourg se présente comme à Bécherel ou Hédé sous forme de ville circonscrite.

Fougères - Le bourg castral ne concerne que la ville basse, développée aux abords du château implanté sur un éperon qui émerge du méandre du Nançon. Ce site d’exception attise l’intérêt des lotissements en balcon, sur les rebords du site.

Le bourg rue

Très présent le long de la digue de la duchesse Anne, le « bourg rue » se caractérise par une implantation rigoureuse du bâti, en fronts parallèles à la digue. Cette organisation spécifique témoigne d’un souci d’économie de l’espace productif du marais et d’une relation vivrière avec celui-ci.

Le bourg port

Le bourg port est une typologie composite. Le port, en partie basse du site, se développe tel un bourg de vallée, sur un espace plan entre le pied de coteau et la limite du quai. A cette entité productive s’est ajoutée une entité villageoise sur le plateau ou sur le coteau comme à Saint-Suliac.

Cancale - Les deux entités sont très lisibles. Le flanc arboré du coteau rend très présente cette segmentation du tissu.

Saint-Suliac - L’église à mi-pente, est implantée le long de la voie qui profite d’un talweg pour assurer, en moindre pente, la relation entre le port et la ligne de crête.

La ville balnéaire

Le modèle de la ville balnéaire a pour centre de gravité, le front de mer et comme site d’implantation, une anse pittoresque. La ville balnéaire est ainsi une « création » de la fin du XIXe siècle. Elle se surimpose à un bourg rural existant qui perd son statut de noyau identitaire référent.

Saint-Malo, le sillon - C’est un Paysage de front de mer balnéaire avec ses immeubles donnant l’échelle de la baie, le trait concave de la ligne de sable qui souligne l’appartenance paysagère à une baie, une anse aux perspectives terrestres fermées. Le pittoresque du lieu tient à l’ampleur de la baie et à la présence de la citadelle qui, par ses hauts murs, vient remplacer les falaises.

Dinard, l’anse du casino - Le paysage associe deux grands motifs de la ville balnéaire, le front de mer socialisé et donc urbanisé, et la côte pittoresque.  Les villas, outre leur architecture faite de multiples références et leurs ouvertures multiples sur la mer, s’articulent au socle des rochers par un jeu de soubassements très développé. Les toitures ouvragées, associées aux pins des jardins, viennent accrocher le ciel. Le soubassement s’ancre sur les rochers qui prolongent et accentuent la courbe de la baie.

La ville balnéaire est structurée par un projet urbain global qui use des modèles du lotissement, du boulevard, du motif de la gare. Les côtes d’Ille-et-Vilaine sont propices à l’implantation de villes balnéaires puisqu’elles offrent le cadre pittoresque des anses. Ce pittoresque sera accentué par l’implantation à Dinard ou Saint-Lunaire, de villas sur les falaises, mobilisant un vocabulaire varié de jardins, de murs de soutènement architecturant la falaise. A cette ville balnéaire structurée est venue se greffer, dans l’arrière-pays, une nappe résidentielle informe.

Saint-Lunaire, plage de Longchamps, photo aérienne, 1961 - Le lotissement de la plage de Longchamps se met en place et urbanise l’anse. La découpe en îlots privilégie dans un premier temps une organisation qui multiplie les voies axées sur la mer, avant que ne soit préférée la construction d’un front de mer pavillonnaire avec façades orientées au nord-ouest.

Saint-Lunaire - Une anse, le pittoresque des falaises, une promenade en front de mer longeant la vaste plage, ne suffisent pas à faire l’image iconique de la ville balnéaire. Le pavillon n’est pas la matière première de la ville balnéaire. Ici comme ailleurs, il en est une forme de déliquescence. Les constructions anciennes se font discrètes. En longères, bordées d’arbres, leur neutralité dans le paysage souligne la puissance destructrice des pignons blancs. Visibles jusque dans le lointain, ces ponctuations blanches condensent les échelles de perception.