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Les fabriques des paysages ruraux

Très peu représentés, les bâtiments de l’agriculture moderne font néanmoins partie des paysages et méritent une conception architecturale qui valorise leur présence.

Le Sel-de-Bretagne - Le silo, inscrit dans le bassin visuel formé par le creux du plissement, attire le regard : la construction prend une place centrale, fédérant l’espace autour d’elle comme le fait une fabrique dans un tableau. La matière métallique brillante, outre son éclat visuel et le ciel qu’elle reflète, assume une apparence moderne, nettement différenciée des images du passé.

Les bâtiments de l’agriculture moderne : des éléments pouvant valoriser les paysages ruraux

La modernisation de l’agriculture a généré, depuis les années 1950, de très importants bouleversements dans les paysages ruraux. Alors que le remembrement, l’arrachage des pommiers et des haies, l’arasement des talus, modifient parfois assez radicalement l’échelle et l’ambiance, les territoires cultivés voient se construire de nouveaux éléments : bâtiments d’élevage, silos, granges aux dimensions adaptées aux nouveaux matériels, usines agro-alimentaires.

Ces constructions manifestent dans les territoires une activité économique contemporaine et peuvent contribuer, dans les effets répétitifs des paysages ruraux bocagers, à caractériser certains sites, hors des villes, mais aussi à proximité de certaines gares. Avec le temps, certains de ces bâtiments deviennent obsolètes ou inadaptés, et faute d’être détruits, deviennent des friches ou des ruines dans le paysage.

Retiers - Anciennement Bridel, l’usine Lactalis est un des sites majeurs de l’industrie agro-alimentaire liée à la production et à la transformation du lait. Elle accueille aujourd’hui un important centre de recherche-développement. Alors que les cheminées font repère dans le ciel, l’usine présente des volumes sobres mais assez peu éloquents, dont certains traités par des bardages rayés. Pour le visiteur non informé, rien dans l’architecture n’exprime la vocation de l’usine, et pas davantage le cadre de son implantation où n’apparaît aucune vache…

Chateaubourg, la gare

Le leurre du camouflage

Répondant à des programmes fonctionnels, ces bâtiments ont été conçus comme des équipements, voire des outils et, au même titre que d’autres productions bâties à la même époque, n’ont pas été imaginés comme les éléments d’un nouveau paysage. Les dispositifs visant à prendre en compte le paysage sont le plus souvent de l’ordre du camouflage. Les haies massives de conifères ou alignements de peupliers d’Italie qui viennent tenter de les soustraire aux regards et les intégrer dans le volume de la végétation, provoquent l’effet inverse tant la nature de ces clôtures tranche sur celle des éléments environnants.

On a vu également des tentatives pour minimiser la présence visuelle des volumes par un morcellement des couleurs de bardages, qui là aussi tend davantage encore à attirer l’œil sur l’objet…

Récemment, les matières et les couleurs ont évolué, les « rayures » semblent révolues tandis que les bardages en bois sont plus fréquents. Tenter de camoufler ces bâtiments tend à les rejeter hors du paysage, comme s’ils ne pouvaient figurer parmi ses motifs. Or, au contraire, certains présentent les qualités des « fabriques » (note) qui, en peinture ou dans les parcs romantiques, viennent fédérer le paysage au sein duquel ils prennent place.

Tentatives de camouflage végétal - Ni les peupliers (à gauche) ni les conifères (à droite) ne sont efficaces comme capes d’invisibilité.
Les bâtiments sont bien présents, et les dispositifs végétaux, trop différents de ceux de l’environnement, tendent à attirer l’attention.

Ces constructions industrielles agricoles font partie du paysage actuel et méritent une double attention :

  • Celle de la représentation : tant qu’ils ne figureront pas dans les représentations du paysage, ils ne seront pas considérés comme une de leurs composantes et ne seront pas conçus comme tels. Les photos ci-dessous permettent d’exprimer le fait que ces bâtiments ont leur place dans notre perception des paysages ruraux.
  • Celle de la conception : tout bâtiment, y compris ces constructions agricoles doit bénéficier d’une approche architecturale permettant de l’inscrire dans un contexte et de lui donner une présence allant au-delà de ses performances fonctionnelles.

Exemples et contre-exemples

Des exemples de bâtiments jouant un rôle de fabrique paysagère.

Vitré - Les volumes complexes apportent une belle animation à l’ensemble uni par la couleur et le motif des fines rayures colorées. Le relief en creux crée un bassin visuel. L’échelle monumentale du bâti entre en résonance avec celle du grand paysage.

Saint-Jean-sur-Couesnon - L’établissement moderne vient compléter un moulin déjà en place. Motif récurrent de la peinture de paysage, le moulin est plus acceptable en tant que composante de paysage pittoresque que les bâtiments plus récents qui ne figurent sur aucune représentation picturale.

Photo modifiée à l’aide d’un filtre pour s'approcher du rendu de la peinture - Les qualités plastiques du silo apparaissent, notamment les effets de volumes et d’ombres, ainsi que la relation avec le cadre boisé et cultivé. Même s’ils sont le fait d’une transformation des campagnes, ces bâtiments ne sont pas, dans l’absolu, dénués de qualités plastiques.

Effets de couleur, Cornillé - Le paysage tire ici parti de l’alternance de touches vertes et rouges, composant à l’horizon une séquence surmontée par la silhouette des arbres du bocage…

Effets de couleur, Saint-Christophe-des-Bois - La teinte ocre est partagée par le champ labouré et la tôle rouillée du bâtiment, le vert des arrière-plans ne venant qu’en contrepoint.

Lohéac - Bien que de grandes dimensions, bien que moderne, bien qu’implantée sur un talus assez brusque, cette grange apparaît néanmoins comme un très bel élément du paysage. Elle n'est pas sans évoquer la figure d’un temple antique. L’utilisation du bois, la vision des balles contribuent également à la qualité du bâtiment qui n’est pas une simple boîte en tôle : l’ouverture sur la gauche (cadrée par le pin) semble en effet être un observatoire sur le paysage alentour.

Dans les contre-exemples suivants, l’objectif de la construction de ces édifices n’est pas l’intégration paysagère. L’enjeu consisterait au contraire à les inscrire dans leur contexte en s’intéressant en premier lieu à leur l’implantation qui doit tenir compte des effets d’interaction entre les différents éléments : le bâtiment, les reliefs, la végétation, et les points de vue principaux depuis lesquels le paysage est considéré.

Sougéal, route départementale 89 - La RD89, au rebord du coteau, est un point de vue très agréable sur la vallée du Couesnon et la baie du Mont-Saint-Michel. Ici, le bâtiment implanté parallèlement à la route s’interpose exactement entre l’observateur et le panorama. Une position légèrement en contrebas aurait évité d’occulter la vue.

Bain-de-Bretagne - L’ensemble assez imposant dialogue cependant avec le site. L’implantation est calée sur les lignes du relief soulignées par les grandes horizontales des constructions. Les bâtiments étant perpendiculaires à la route, ils n’occultent pas la vue, ouverte sur les cultures. L’échelle de l’ensemble renforce toutefois l’aspect de paysage déboisé, et la disparition du bocage, au bénéfice des grandes ouvertures cultivées.

Saint-Marcan - Depuis un pont sur la RN 176, le bâtiment est très en vue. Il se présente comme un objet très technique, notamment en raison des panneaux solaires qui semblent ajoutés après coup. La teinte des tôles, proche de la pierre calcaire, contrastant beaucoup avec les panneaux solaires gris et la bâche d’ensilage, contribuent certainement à l’effet d’addition de fonctions, sans approche architecturale.

Dompierre-du-Chemin - La modernisation de l’agriculture s’est aussi accompagnée de la construction dans les paysages ruraux de maisons conçues non pas sur le modèle des maisons rurales traditionnelles, mais sur celui du pavillon isolé dans sa parcelle. Il en résulte des effets de collage et un manque de cohérence entre l’ambiance du cadre rural et celle portée par le modèle du logement de type péri-urbain.

Argentré-du-Plessis - L’établissement semble avoir atterri dans les champs. Les volumes et les couleurs des bâtiments ne présentent pas de cohérence, et aucune articulation ne crée une harmonie entre les éléments en place…