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Inventer les méthodes et les outils pour une approche paysagère des projets de territoire

Les outils et les méthodes usuelles en matière d’aménagement mobilisent souvent des démarches peu adaptées à la reconnaissance, à la représentation et à l’élaboration des paysages. Il peut donc être nécessaire d’adapter certains outils mais aussi d’innover en inventant des méthodes dédiées.

Identifier et concevoir les espaces urbains et les espaces agricoles comme paysages

Les paysagistes interviennent très souvent en Ille-et-Vilaine. On doit ce fait à la nature des maîtrises d’ouvrages, souvent publiques, à des structures comme l’AUDIAR (Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération rennaise), plus généralement à des élus ou techniciens qui ont su imposer l’idée de la plus-value paysagère. La qualité des ZAC (zones d’aménagement concerté) leur doit beaucoup.

Pour autant la contribution des paysagistes aux documents d’urbanisme structurants (plans locaux d’urbanisme, schémas de cohérence territoriale), intéressante mais souvent limitée aux analyses, n’a pas pour autant permis de donner au paysage une place à la hauteur de ses enjeux. Ces documents identifient pourtant assez bien les composantes du paysage, ses caractéristiques, à l’occasion de la rédaction de l’Etat initial de l’environnement. Si nombre d’entre eux, dans les dispositions générales d’un PADD (projet d’aménagement et de développement durable), énoncent que la « valeur paysage » est identitaire des communes ou des territoires, peu se dotent d’un arsenal règlementaire donnant corps à cette expression.

L’explication de cet état de fait tient à trois facteurs principaux. Le premier est à rechercher dans la méthode d’élaboration des diagnostics. Abordant maints sujets sensés cerner une réalité complexe, les diagnostics sont énoncés de manière cloisonnée. Le paysage, qui pourrait, qui devrait être un thème transversal, faisant le lien entre les composantes physiques, les usages, l’économie, la culture, est présenté le plus souvent dissocié des autres sujets. L’autre facteur porte sur la nature des informations recherchées dans un document d’urbanisme. Les données chiffrées, quantifiables, périmétrées, sont privilégiées aux données plus subjectives, à l’analyse des perceptions, aux valeurs culturelles ou sensibles.

Enfin, comme les espaces urbains ou agricoles ne sont pas suffisamment reconnus comme paysages, ils ne sont pas dotés d’outils affirmant cette identité paysagère. Le premier changement méthodologique voudrait que soit imposée, lors du constat partagé, l’idée que le paysage est une valeur transversale, qui s’applique à la totalité des territoires, y compris agricoles et urbains. La reconnaissance de ces espaces comme paysage, à l’occasion des diagnostics est essentielle.

En effet, s’appuyant sur les données du constat partagé, un plan d’aménagement et de développement durable (PADD) d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un schéma de cohérence territoriale (SCOT) peut alors imposer l’idée que parce que ces espaces sont des paysages, l’acte de les concevoir, de les aménager, relève du projet de paysage. Pour que cette valeur soit partagée, la reconnaissance passe dans un premier temps par l’échange in situ sur l’appréciation des paysages tels qu’ils se présentent, des émotions qu’ils génèrent, positives ou négatives, des valeurs qu’on y attache. Partager une visite de site, l’appréciation d’un paysage devrait être une démarche imposée, un préalable obligatoire. L’expérience partagée du paysage est à la fois un partage d’émotions, une transmission d’information, d’analyses techniques et sensorielles.

A partir des valeurs défendues par le PADD, il sera possible, dans les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) d’un PLU, dans le document d’orientations et d’objectifs (DOO) du SCOT, d’imposer des dispositions formalisant soit la nécessité d’un projet de paysage préalable à tout projet d’urbanisme, soit des principes de composition.

Le projet global avant le règlement

Le règlement (graphique et rédactionnel) est un outil d’affirmation d’un projet. S‘il oriente et conditionne, dans un rapport de conformité, c’est pour mieux favoriser la mise en œuvre du projet voulu. Le dessein collectif précède donc le règlement.

En matière de paysage et notamment de grand paysage, le règlement est souvent un outil peu adapté à la structuration des grandes composantes que sont les axes de composition, les plans successifs, les matières. Il est donc très important que le projet précède le règlement. Le projet global, sa représentation, doivent s’accompagner d’une réflexion portant sur la mobilisation des outils les plus adaptés à la sécurisation du processus de création du paysage.

Les orientations d’aménagement et de programmation d’un PLU semblent des outils adaptés au projet de paysage. La relation de compatibilité, la diversité des supports envisageables (photo, photo-montage, texte, schémas), s’adaptent plus aisément à la nature souple de la notion de paysage. Principalement utilisées pour encadrer l’aménagement des espaces à urbaniser, elles peuvent porter à la fois sur des espaces déjà urbanisés mais peuvent définir aussi toute action et opération nécessaire pour mettre en valeur l'environnement, les paysages, les entrées de villes et le patrimoine, lutter contre l'insalubrité, permettre le renouvellement urbain et assurer le développement de la commune. Outil de médiation entre la commune et l’aménageur, l’orientation d’aménagement porte trop peu de valeurs de paysage. Cet outil est à renforcer et à capitaliser pour imposer le paysage dans l’acte d’aménager, en dépassant les seuls espaces à urbaniser.

Mettre en place des outils de représentation adaptés

La représentation en plan inadaptée à la représentation du paysage

Le plan est un média usuel au travers duquel s’exprime une intention d’aménager un territoire, construire un lotissement ou une maison. C’est un outil pratique qui peut être dupliqué, reproduit, réduit, agrandi, colorié. Il porte tout à la fois une expression plastique, une dimension économique (on peut le métrer, en extraire des valeurs financières). Il est un vecteur commun de communication entre les différents acteurs techniques de l’acte d’aménager, du client à l’artisan, jusqu’au commercial, au géomètre.

Ce mode de représentation est donc le média privilégié de l’aménagement des espaces et des territoires. Il n’est pour autant pas adapté à une représentation génératrice de valeurs culturelles propres à assurer une reconnaissance sociale des espaces représentés. Il n’est pas adapté à la représentation du projet de paysage. Le paysage existe au travers des représentations qui en sont faites. Le seule dimension planaire, en deux dimensions, n’exprime pas le paysage et donc ne le représente pas. Le paysage, pour exister, ne peut donc s’appuyer sur le plan, principal média utilisé. Mais pour qu’il y ait représentation il faut au préalable qu’il y ait un objet, un sujet à représenter. Que le plan, média inadapté à la représentation des paysages, soit l’outil le plus usité pour illustrer un projet, témoigne à lui seul du fait que le paysage n’est pas le ressort essentiel de la plupart des projets.

Le plan est une réponse adapté à des préoccupations d’abord fonctionnelles et économiques. Cela ne signifie pas que le professionnel à l’origine du projet n’ait pas conçu un projet à dimension paysagère, qu’il ne l’ait pas mentalement mis en situation dans l’espace. Pour toute personne n’ayant pas la capacité à la lecture d’un plan à l’imaginer et le développer en trois dimensions, le projet ne sera pas un paysage. Il pourra au mieux traduire un principe de paysagement des espaces et se limiter à cela.

Photos, montages, coupes, schémas… : des outils pour représenter le paysage

Le paysage a besoin de la troisième dimension et d’une expression plastique, sensible, pour donner à comprendre ses valeurs, sa structure, ses dynamiques. Pour rester dans le principe du plan, qui demeure un outil adapté à l’expression de nombres de dynamiques, il serait souhaitable d’imposer que figurent les courbes de niveaux.

Le plan, y compris la base cadastrale d’un PLU, exprimerait ainsi plus aisément sa topographie, une des dimensions importantes d'un site, d’un territoire. La valeur transversale du paysage ne trouve souvent pas à se lire lorsque les documents graphiques limitent l’information aux seuls périmètres d’une étude, quelle qu’en soit l’échelle. Un PLU est formalisé par le cadastre communal et ignore par exemple les territoires connexes. Il semble important de pouvoir apprécier le contexte élargi du sujet d’étude.

Parmi les outils plus adaptés que le plan, la photographie, le photomontage, s’imposent par leur caractère usuel, très polyvalent, leur capacité narrative. La photographie offre par ailleurs l’avantage de conserver une mémoire des lieux, de pouvoir s’adapter aux différentes échelles de projet.

Cancale (photo du haut), Balazé (photo du bas) - Il arrive fréquemment que les villes et les villages se présentent depuis des points de vue éloignés et qu’ils y apparaissent comme des motifs de paysage. Les photos rendent compte de ces perceptions et doivent être des outils d’analyse autant que les plans : l’analyse des plans visuels et de leurs relations permet d’agir sur la perception du site et d’en contrôler les caractères, souvent identitaires.

Tremblay, exemple de mise en relation entre l’analyse d’un point de vue, et le report de cette analyse sur un document en plan - Le rôle des reliefs est très important pour conditionner les perceptions, et doit figurer sur les documents.

Coupe du sud au nord de Rennes - Les coupes sont de bons outils d’analyse et de représentation des structures paysagères, notamment celles qui impliquent les reliefs, et permettent de mieux gérer les relations de hauteurs, et les cônes de vue.

Les images virtuelles et maquettes 3d de territoires sont très appréciées pour leur qualité de représentation, certaines collectivités ont entrepris de les réaliser. Ces maquettes peuvent également être versées sur les sites de visualisation, tels que « Google earth », permettant une contextualisation.

Le recours au paysagiste

Le paysagiste a longtemps été réduit à la fonction d’aménageur des espaces verts, l’architecte, l’urbaniste, conservant jalousement la main sur le travail de conception. Les choses ont changé depuis une vingtaine d’années.

Si l’on considère que le paysage est à la croisée de thèmes aussi nombreux que l’environnement, le développement économique, le projet social, la perception des lieux, les représentations culturelles, le paysagiste est « naturellement » en capacité de faire la synthèse de ces thématiques et de les mettre en perspective.

Croisement, partage, concertation

Les évolutions récentes en matière de concertation, d’étude d’impact, d’enquête publique, vont dans le sens d’une plus grande information de la population et d’un accès accru à un espace de parole. La concertation n’est pas uniquement la recherche d’un consensus, c’est l’espace où s’échangent des points de vue, des idées, des valeurs.

Le paysage est un sujet particulièrement adapté à la pratique de la concertation. Ce devrait même être une exigence d’inscrire le paysage au programme des échanges, tant les valeurs qui lui sont attachées sont à la fois collectives (identité et perception du territoire, cadre de vie) et individuelles (émotions, souvenirs). Le paysage n’est pas une permanence, il évolue. Ses modifications peuvent affecter un caractère esthétique ou plastique. Elles peuvent aussi relever du registre des risques et nuisances. Parce qu’il croise les sujets du cadre de vie, de l’identité, des équilibres écologiques, des dynamiques économiques, des impacts sur l’environnement, le paysage doit être sujet de débat.

On peut aussi voir dans le débat, l’occasion de faire œuvre de pédagogie en utilisant ces espaces de dialogue pour expliquer ce qu’est un paysage et surtout insister sur le fait qu’il est animé de dynamiques.