Haut de page

Enjeux retenus à partir des analyses des paysages de l’Ille-et-Vilaine

Les six dynamiques des paysages relevées marquent l’actualité de la question des paysages. Dans un contexte où l’évolution de notre environnement s’accélère, où notre rapport au temps et à l’espace est lui aussi bousculé, le paysage s’inscrit comme un repère nécessaire.

Il participe de la qualité écologique de notre environnement. Il est un facteur d’appropriation du territoire où nous vivons. Enfin, il est un vecteur d’attractivité résidentielle et économique du département.

Au vu de l’état et des dynamiques des paysages, qu’est-ce qui est en jeu pour l’Ille-et-Vilaine ? Avant d’envisager les actions pour la valorisation des paysages, nous relevons ici six principaux enjeux, c'est-à-dire des éléments existants déterminant du devenir des paysages du département, sur lesquels il est possible et pertinent d’agir.

L’évolution des paysages de l’Ille-et-Vilaine

L’écart entre paysage et environnement

L’accélération du développement urbain au cours des dernières décennies entraine une transformation du cadre environnemental, qui l’éloigne des représentations paysagères. En effet, le paysage de l’Ille-et-Vilaine, tel qu’il est aujourd’hui perçu, délaisse les éléments contemporains pour ne retenir que les éléments patrimoniaux, naturels ou bâtis, qui composent cet environnement. L’enjeu est l’écart entre les représentations de cet environnement et ce qu’il est. Il s’agit autant de considérer les éléments contemporains dans la définition du paysage départemental que de renforcer les fonctions des éléments patrimoniaux dans la dynamique du territoire.

Le maintien de paysages identitaires

Les éléments patrimoniaux marquent le caractère identitaire des paysages de l’Ille-et-Vilaine, parce qu’ils parlent de ses territoires. Au-delà, l’environnement contemporain et ses représentations tendent à ne plus refléter de lieux particuliers. Le bâti et les formes urbaines semblent partout les mêmes. Les représentations sont globalisées par les médias et la promotion touristique. Les expériences environnementales sont dispersées du fait de la mobilité accrue des brétilliens. Aussi, les paysages risquent de perdre leur caractère identitaire en se distançant de l’espace tel qu’il est conçu et vécu.

Un paysage de la dynamique de l’Ille-et-Vilaine

L’Ille-et-Vilaine est caractérisé par sa dynamique, démographique, économique et urbanistique ; illustrée par son développement périurbain. S’ils révèlent les aménités appréciées par l’ensemble des brétilliens, ses paysages sont, eux, empreints de nostalgie et morcelés. L’enjeu est que les paysages rendent aussi compte de l’unité et la vitalité du territoire.

La valeur de paysages construits

La reconnaissance de paysages de nature

La nature, racontée par la plupart des brétilliens rencontrés, est dissociée de la présence et du regard de l’homme. Sa fragilité incite à isoler ses milieux pour les préserver. Pourtant, les espaces dont les ressources naturelles ne sont plus exploitées, de même que les espaces éloignés des habitants, tendent à s’appauvrir ; ils deviennent monotones et se ferment à la biodiversité. L’enjeu est la reconnaissance des paysages de nature, construits, exploités, et admirés par l’homme, afin d’en garantir la pérennité.

La valorisation de l’économie des paysages

La construction, la gestion et l’entretien des paysages participent d’une économie peu reconnue. La valeur ajoutée liée aux paysages n’est que rarement mesurée (ou simplement pas associée au paysage). Aussi, ceux qui en ont la charge y associent un coût jugé toujours trop important. Les actions paysagères sont dépréciées, et les contraintes réglementaires liées aux paysages sont négligées. L’enjeu est la prise en compte de l’économie liée aux paysages.

Le renforcement du lien entre le développement économique et le territoire départemental

Le paysage rapportant la dynamique économique du territoire aujourd’hui fait défaut. Les grandes parcelles de culture ne correspondent plus au paysage agricole perçu. Les zones d’activités, industrielles, artisanales ou commerciales, n’ont plus valeur de vitrines de la dynamique des territoires. Les voies de communication, fermées sur elles-mêmes, ne donnent plus autant à voir les territoires qu’elles traversent. Les différents projets paysagers ne parviennent pas à encrer ces sites et infrastructures en un lieu. Cette image renvoie à la permanence d’un système économique affranchi de son environnement. L’enjeu est le renforcement du lien entre la dynamique économique et le territoire départemental.

Le renouveau des paysages urbains

Standardisation et banalisation : une poursuite de la standardisation des formes urbaines au risque d’une banalisation accrue

Le périurbain attire. Ce modèle de développement porte en lui la réponse à un double désir, celui de la propriété de logement individuel et celui de nature, de campagne. Pour autant ce modèle de développement qui se caractérise par la consommation de territoires multiples (territoire des loisirs, des commerces, du travail, du logement) permise par une mobilité individuelle facilitée est associé aux images de banalité des espaces produits, de standardisation des réponses urbaines, d’une réduction des espaces naturels et agricoles.

A la satisfaction des deux désirs mentionnés, propriété et nature, s’ajoute celle des communes qui y ont trouvé leur principal levier de développement. Rompre avec le modèle périurbain massivement engagé depuis une cinquantaine d’années ne risque-t-il pas de sonner le glas de leur attractivité ? L’enjeu est ici celui du modèle de développement départemental.

Alors que le département ne compte qu’un nombre limité de communes très urbanisées telles Rennes, Vitré ou Redon, faut-il rompre avec le périurbain comme principe de croissance répartie ou faut-il rompre avec les paysages du périurbain ? Le périurbain n’est pas uniquement centré sur le logement. Les équipements, les services, le commerce, les infrastructures, l’économique, les loisirs sont des moteurs d’occupation des sols.

Toutefois, le logement est le moteur premier du développement des territoires. Le modèle périurbain est intimement lié à celui du pavillon comme réponse à l’idéal-type confondu d’ascension sociale et de propriété. Ce modèle n’a pas évolué depuis quarante ans. Les quelques évolutions ne concernent souvent que des catégories socioprofessionnelles élevées, telles les maisons sur les toits des immeubles rennais. L’enjeu du périurbain est un double enjeu de modèle architectural répondant aux aspirations connues et d’évolutions de ces aspirations.

L’intégration urbaine dans les paysages existants

Le tissu urbain, tant résidentiel que d’activité n’a pas été et n’est toujours pas perçu comme du paysage par la très grande majorité de la population. Le périurbain serait ainsi un vaste espace hors paysage. Faire accepter le tissu urbanisé comme un paysage est un enjeu majeur qui interroge tant les regards sur les tissus existants que les pratiques des concepteurs et aménageurs des tissus à projeter.

En parallèle de cet enjeu de reconnaissance s’ajoute celui d’affirmation de l’urbain, quel que soit sa nature, comme une valeur positive. Le projet urbain n’est pas à considérer comme un facteur de risques paysagers, conduisant au motif d’une intégration dans le paysage, soit à une dilution de l’urbain dans le paysage soit à une dissimulation par des éléments de nature.

L’enjeu d’intégration urbaine est un enjeu d’architecture. L’architecture est la grande absente du périurbain marqué par les modèles redondants du pavillon et de « la boîte à chaussures » comme réponse à l’idéal soit de propriété résidentielle soit d’activité. Ce manque d’architecture ne porte pas que sur la construction mais aussi sur la réflexion préalable à celle-ci qui établit un dialogue entre le site et l’objet à construire et fait de l’acte de bâtir un acte de paysage.

L’effacement des frontières entre l’urbain et le rural

Le périurbain a fait glisser de la ville à la campagne, les signes distinctifs de ce qu’était la ville lorsque la campagne n’était ponctuée que de bourgs ruraux et n’était principalement animée que par l’économie agricole. Les enseignes de restauration rapide, les grandes surfaces commerciales, les commerces de confort et non plus de nécessité, les cinémas et autres médiathèques ont investi le champ du périurbain.

A ceci s’ajoute l’extension des tissus qui réduit les inter-distances entre aires urbanisées et l’intensité des paysages de campagne. L’effacement des paysages de campagne est un enjeu fort du périurbain. Il porte un enjeu de limite (le lieu, la nature, les usages de cette limite) et un enjeu de contenu et de sens des vides entre aires urbanisées.

La densification des tissus urbains, un enjeu de paysage

Le tissu périurbain est lâche. Sa consommation d’espace est jugée excessive aujourd’hui. Aux espaces résidentiels mais aussi économiques du périurbain, sont associés désormais l’idée que ce foncier peu dense est à considérer comme un gisement à capitaliser en priorité. La capitalisation de ce foncier, mise en application, se traduit par une densification. Celle-ci perturbe puisqu’elle peut conduire à proposer des motifs paysagers non usuels et peut se traduire par des modifications sociales notables (rajeunissement de la population, programmation de logements sociaux…).

La densification des couronnes pavillonnaires banalisées, des zones d’activités sans identité, des centres bourgs affaiblis, avec ou sans renouvellement urbain, est un enjeu de paysage. En parallèle, la densification questionne en premier chef, l’acceptabilité collective et individuelle de ce processus d’évolution. L’enjeu sera d’améliorer la compréhension des motifs conduisant à faire de la densification, une réponse adaptée à l’objectif de réduction des atteintes portées à notre environnement.

La proximité des paysages

La valorisation fonctionnelle des paysages

Certains espaces particuliers font l’objet d’une identification cartographique et d’une mobilisation d’outils règlementaires, de processus particuliers, s’appliquant dans les limites de ces secteurs. Cette sectorisation traduit un intérêt particulier, paysager et/ou environnemental. Les effets de cette sectorisation sont positifs pour les espaces identifiés.Cette démarche de sectorisation qui met l’accent sur des périmètres d’action, ignore tous les ensembles situés entre ces territoires de projet. Ne pas être sectorisé comme un paysage d’intérêt ne doit pas signifier une absence d’intérêt.

L’enjeu est de faire reconnaître l’ensemble des paysages, qu’il s’agisse de paysage du quotidien ou de paysages patrimoniaux, comme des matières de projet. L’analyse paysagère, les représentations graphiques, excluent très souvent les contextes, hors objet des études. L’appréciation des valeurs du paysage telles que la continuité, la porosité, la transversalité, est de fait amoindrie ou ignorée. L’enjeu est d’adapter les outils de représentation aux caractéristiques et aux échelles du paysage considéré.

Distanciation des paysages

L’approche sectorisée du paysage peut avoir comme objectif la valorisation, la protection de fonctions, d’usages, de pratiques, sans lecture sensible du paysage. A l’inverse le promeneur par son appréciation sensible d’un instant vécu, peut exclure de sa vision du paysage, certaines valeurs d’usage, de pratiques. La distanciation des paysages résulte ainsi souvent d’une perception au travers d’un filtre qui en réduit la compréhension.

La pratique quotidienne du périurbain est celle d’une territorialité multiple et d’une sectorisation des fonctions. Secteurs résidentiels ou économiques, associés aux multiples temps de déplacement, présentent des tissus spécifiques qui ne sont pas toujours perçus comme des paysages. La distanciation est fréquente. Le risque de distanciation des paysages faire naître un enjeu : considérer la palette des valeurs paysagères possibles, au-delà des grilles de lecture habituelles.

Continuité territoriale

Alors que la transversalité est une des valeurs reconnues du paysage, la sectorisation des espaces centre l’intérêt sur une entité au risque de la déconnecter de son environnement. La globalité se résume alors à une mosaïque de contextes étanches les uns par rapport aux autres. L’enjeu est ici d’identifier et de valoriser des continuités de paysage qui tissent des liens entre territoires facilitant notamment la compréhension et l’affirmation des grands paysages départementaux.

L’inscription territoriale de paysages nouveaux

Le bien-être environnemental

Le territoire contribue à la qualité du cadre de vie, dans ses multiples dimensions : la beauté, le confort, l’ambiance (bruit, odeurs…), les services rendus (déplacements, loisirs), les effets sur la santé. La présence de ces valeurs est un enjeu à intégrer dans les projets. Les objectifs du développement durable se traduisent dans la composition du cadre de vie. Ils constituent un enjeu pour le paysage dans leur dimension de lisibilité, et leur inscription dans les pratiques du territoire, notamment les déplacements actifs (piétons, vélos).

Les usages du cadre de vie contribuent à la sensation d’être au monde, en contact avec les éléments naturels et ceux de la culture, et … l’enjeu pour le paysage est ici la présence sensible de ces éléments et les sensations du corps dans l’espace.

La valorisation de l’espace public et de l’espace privé

Le territoire combine les espaces intimes de la vie familiale et les espaces publics de la collectivité. Les deux s’articulant dans les pratiques, l’enjeu pour le paysage consiste à ce que le territoire soit perçu et vécu sans rupture, et traduise une cohérence générale.

Les espaces privés contribuent à la perception des espaces publics par les façades et les clôtures. L’espace privé apporte possiblement une valeur à l’espace public, l’enjeu étant de reconnaitre ces contributions individuelles aux paysages communs.

Les espaces publics peuvent favoriser la lisibilité des lieux et leur singularité, accueillir et favoriser la vie collective et les rencontres. Ces dimensions constituent un enjeu de paysage, et peuvent être négligées au profit des approches fonctionnelles, notamment liées à l’automobile.

Appropriation des territoires et sentiment d’appartenance

La reconnaissance des lieux, leur singularité, permet aux habitants eux-mêmes de se différencier, et de développer un attachement à leur territoire de vie. Cette valeur est un enjeu de paysage, elle peut être diluée par la banalisation, et renforcée pour certains territoires.

Les représentations construisent l’attachement aux lieux : images, histoires et récits, mais aussi événements, pratiques, œuvres d’art, partages d’expérience. La prise en compte de la perception et des représentations constitue un enjeu pour que le paysage soit abordé dans toutes ses dimensions.

La fréquentation physique des lieux permet, par l’expérience pluri-sensorielle, l’ancrage au réel dans un monde où se développe la virtualité. Le paysage repose sur la possibilité pour les populations d’accéder à cette expérience. La reconnaissance du territoire passe par l’identification du temps long qui l’a constitué, celui de la nature et celui de l’histoire. C’est un enjeu pour le paysage que ces dimensions soient perceptibles.

L’intérêt du paysage dans un environnement en développement

Apport de l’approche paysagère des territoires

L’approche paysagère intègre la part des perceptions, des représentations, les valeurs culturelles et sensibles, voire affectives, attachées aux lieux, qu’elle synthétise avec les considérations fonctionnelles. L’approche paysagère conçoit l’espace en fonction de l’expérience physique et sensible, intégrant les usages et les sensations qu’ils procurent.

L’approche paysagère synthétise les objectifs du développement urbain et ceux de la protection de l’environnement naturel, ce qui permet de répondre à l’enjeu d’une approche transversale du territoire. La place de l’approche paysagère dans les processus de projet relève encore de l’expérimentation et de l’innovation, et représente tant un fort enjeu à saisir par les maîtrises d’ouvrage publiques, qu’une culture à construire.

Capacité d’intervention des collectivités sur les paysages

Les dynamiques territoriales seules ne forment pas de paysage. Celui-ci doit être « souhaité » collectivement, de sorte à orienter les politiques d’évolution territoriales vers un paysage accepté et reconnu. L’enjeu doit être reconnu pour mobiliser les acteurs des évolutions territoriales dans la formulation du paysage souhaité.

En reconnaissant l’enjeu de la qualité paysagère dans la valeur économique des territoires, l’action paysagère peut être considérée comme un investissement et non comme une charge contrainte.

Toute action sur le territoire (planification, aménagement, construction, destruction, gestion…) a une incidence paysagère. Saisir la dimension paysagère de chacune d’entre elles pour œuvrer à la qualité paysagère, même si elles ne sont pas identifiées comme des actions spécifiques sur les paysages, constitue un enjeu.

De nombreuses valeurs du paysage reposent sur l’identification des échelles de perception, qui dépassent souvent les périmètres administratifs. Lors de chaque projet, la reconnaissance des bonnes échelles, permettant de le situer dans le contexte des structures paysagères et celui des perceptions, est un important enjeu de paysage.

Paysages durables

Il arrive que certaines actions ne soient pas pérennes, et voient se tarir les usages ou la gestion. L’enjeu consiste à ce que l’action sur la qualité paysagère soit durable. Le développement durable repose sur la synthèse des approches sociales, économiques et environnementales, et combine les échelles globales et locales.

L’approche paysagère y ajoute la dimension culturelle et celle de la perception par les populations. En ne négligeant ni la transversalité des approches, ni les perceptions, ni l’identification des échelles pertinentes dans les méthodes de projet, l’action paysagère prend en compte l’enjeu de sa durabilité. Beaucoup d’actions paysagères sont expérimentales ou innovantes. L’enjeu de la durabilité nécessite de tirer correctement les leçons de ces expériences à l’aide d’évaluations.